Edito
Jeudi 15 Mars 2007
Todd sur France Culture, lundi 12 mars
http://www.protectionnisme.eu/docs/audio/todd-franceculture-12032007-part1.mp3
http://www.protectionnisme.eu/docs/audio/todd-franceculture-12032007-part2.mp3
Intervention relayée par les excellents sites
http://www.protectionnisme.eu/
http://horizons.typepad.fr/
Où il a l'air de ne toujours pas croire à une victoire de Sarkozy, d'être sceptique pour la fin de campagne de Bayrou, et voir un bon résultat pour Royal (si elle ne fait pas trop de boulettes) et pour Le Pen. C'est fou comme j'arrive à être d'accord avec lui avant même de l'avoir écouté.
http://www.protectionnisme.eu/docs/audio/todd-franceculture-12032007-part2.mp3
Intervention relayée par les excellents sites
http://www.protectionnisme.eu/
http://horizons.typepad.fr/
Où il a l'air de ne toujours pas croire à une victoire de Sarkozy, d'être sceptique pour la fin de campagne de Bayrou, et voir un bon résultat pour Royal (si elle ne fait pas trop de boulettes) et pour Le Pen. C'est fou comme j'arrive à être d'accord avec lui avant même de l'avoir écouté.
Mercredi 07 Mars 2007
Chat avec Emmanuel Todd, lundi 5 mars
Nicolas Mariotte : Pourquoi faire intervenir le multicarte Emmanuel Todd dans un débat économique, alors qu'il est docteur en histoire et démographe à l'INED (même s'il se présente anthropologue ici, sociologue là, et... économiste chez Télérama ?) Je ne suis pas certain que cela fasse véritablement progresser le débat économique.
Emmanuel Todd : La vraie bonne question est : pourquoi les économistes actuellement sont-ils mauvais ? Donc : pourquoi suffit-il d'avoir une vision des sciences sociales qui ne sépare pas l'histoire de l'économie, l'économie de la démographie, la sociologie de tout ça, pour accepter de voir l'évidence ?
L'économie est une discipline pauvre, ainsi que le reconnaissait Keynes, assez facile à maîtriser. On la truffe de mathématiques pour faire peur, mais c'est de la poudre aux yeux.
Tractatus : Votre interview dans Télérama a pour principal mérite de contribuer à lever un tabou : celui du protectionnisme. Mais les réticences à l'égard de cette idée sont fortes, surtout au sein de la communauté des économistes. Comment expliquer leur aveuglement actuel par rapport au libre-échange ?
Emmanuel Todd : Ca vaut la peine d'insister sur cette question des économistes, qui sont vraiment au cœur du problème. Il va vraiment falloir admettre que la majorité des gens nommés par le terme d'économiste ne sont pas des savants, mais des idéologues, des "chiens de garde", comme aurait dit mon grand-père.
Yacine: M. Hakim El Karoui a écrit un livre, "L'Avenir d'une exception", qui vulgarise vos thèses et propose des débuts de solutions concrètes. L'avez vous lu ? Que pensez-vous de son "programme" ?
Emmanuel Todd : Hakim El Karoui est devenu un copain, un complice. On est d'accord sur l'essentiel. On travaille d’ailleurs ensemble sur ces questions.
Delcat : Pourquoi à votre avis, la question de l'économie n'est-elle pas abordée dans cette campagne ? Est-ce un aveu d'impuissance devant un mécanisme qui échappe à la dimension nationale ? Est-ce par peur de choquer un électorat rivé sur ses acquis, tremblant devant la libéralisation ? Cette libéralisation n'est-elle pourtant pas la seule issue ?
Emmanuel Todd : Non, c'est parce que le système politique, idéologique est actuellement tenu par ce qu'on peut appeler les classes supérieures, une oligarchie qui se trouve bien dans le système économique actuel et qui n’est donc pas capable de concevoir autre chose. C'est l'un des enseignements valables du marxisme : il est très difficile de penser contre son intérêt immédiat. C'est particulièrement difficile aujourd'hui dans une situation d'atomisation, d'"hyperindividualisme".
Sceptique : Ne pensez-vous pas que "les candidats du vide" bénéficient de la faible culture économique des Français, ce qui leur permet de raconter n'importe quoi ? En effet, bon nombre de gens se positionnent à partir d'un imaginaire économique plus ou moins construit par les hommes politiques et les médias. Seriez-vous intéressé par la création collégiale d'une encyclopédie économique en ligne à destination de tous les Français pour leur permettre de comprendre les mécanismes de base de l'économie ?
Emmanuel Todd : J'ai déjà assez de travail, malheureusement. Mais sur le fond, ce n'est pas vrai : l'enseignement des dernières élections et du dernier référendum, c'est que le gros de la population ne croit plus aux "bavardes" économiques des dirigeants. La mécanique du libre-échange, qui entraîne pression sur les salaires, délocalisations et augmentation des inégalités, je pense que la plupart des gens comprennent très bien. Ce sont les économistes professionnels - pas tous quand même -, disons, la pensée économique dominante, qui refuse de comprendre. Mon sentiment est que les dirigeants sont plutôt comme des citoyens de base, qu'ils comprennent, mais qu'ils n'osent pas agir, étant paralysés par l'ambiance intellectuelle générale.
Nat : Quand la plupart des lois et règlementations qui s'appliquent chez nous sont décidées au niveau européen, quel programme protectionniste un candidat à l'Elysée peut-il proposer sans que l'Europe lui impose le contraire ? Est-il possible pour la France de faire du protectionnisme sans se retrouver en rupture avec l'Europe ? Quelles sont ses marges de manœuvre ?
Emmanuel Todd : Le seul protectionnisme concevable est européen. Tout projet protectionniste suppose, plus qu'une négociation, un bras-de-fer en Europe. Il faut faire comprendre aux grands pays européens que c'est leur intérêt, au premier chef à l'Allemagne, et ne pas avoir peur de dire que si ces pays ne se rallient pas, la solution raisonnable pour un pays comme la France est de sortir de l'euro.
Claire : Comment appliquer le protectionnisme face à des industriels français qui font fabriquer une partie de leurs produits hors des frontières européennes ? Et l'entrée de pays eux-mêmes émergents (Pologne, Roumanie) dans l'Union européenne ne peut-elle pas rendre inefficaces des mesures protectionnistes à l'échelle européenne ?
Emmanuel Todd : Les industriels ne sont pas un problème. Ils appliqueront les règles qu'on leur imposera. Et si on leur redéfinit un marché intérieur européen de 450 millions d'individus, ils s'adapteront et ils y trouveront de nouvelles possibilités d'équilibre et d'activité. Il est vrai que les pays émergents exercent une pression certaine et qu'il existe des processus de délocalisation internes à l'espace européen. Mais justement, toute l'idée d'un protectionnisme européen collectif consiste à admettre cette position des pays de l'Est, mais à dire également que la pression extérieure s'arrête là, et de reconstituer avec le temps, à l'intérieur d'une protection communautaire, un minimum de solidarité entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. En fait, il s'agit de faire à l'échelle de l'Europe ce qui a été fait à l'intérieur d'un pays comme la France au moment de la liquidation des barrières internes de l'Ancien régime.
Hadrien : Les dernières chutes des bourses sont-elles la préfiguration d'une vraie crise économique ?
Lilou1 : Pensez-vous qu'un crash immobilier nous guette ?
Emmanuel Todd : A court ou moyen terme, je n'en ai aucune idée. Les prédictions à long terme sont à la fois faciles et floues. On ne peut que concevoir une crise majeure, mais le lieu et le secteur de démarrage de la crise, à mon avis, sont au-delà de toutes compétences.
Serge Soudoplatoff : J'ai lu dans votre interview un passage sur l'économie de l'immatériel, que vous semblez rejeter, si je vous ai bien lu (peut-être me trompé-je ?). Pour moi, il existe une économie de l'immatériel. Lorsqu'on partage un bien matériel il se divise alors que lorsqu'on partage un bien immatériel il se multiplie. C'est une économie de rareté d'un côté, et une économie d'abondance de l'autre. L'exemple le plus frappant est la pression de l'industrie du contenu, musique ou film, qui condamne les échanges de fichiers et essaye de maintenir des règles de rareté. Et si c'était cette économie qui maintenait les Etats-Unis encore à un niveau économique élevé ? Et si le choix d'Internet comme nouveau vecteur de progrès n'était qu'une vision d'un monde où la valeur quitterait la matière pour descendre dans le peer to peer ? Le modèle du logiciel libre n'est-il pas précurseur d'une nouvelle économie ?
Emmanuel Todd : Donnez-moi tout de suite votre ordinateur, puisque vous n'avez pas besoin de matériel. Faites-le parvenir à Télérama, qui me l'enverra. Je vous laisse les réseaux câblés.
Franz : Vous indiquez que les Etats-Unis attendent la présidentielle française pour attaquer l'Iran, afin de ne pas avoir M. Chirac dans les jambes. N'est-ce pas donner trop d'importance au président Chirac ? Ou au contraire, pensez-vous qu'il ait une réelle influence ?
Emmanuel Todd : La France a une réelle importance dans le dispositif stratégique américain, parce que les Etats-Unis ne seraient pas mécontents de voir se reconstituer des blocs rappelant la guerre froide. Dans un conflit avec l'Iran, il est vraisemblable que la Russie et la Chine soutiendraient plutôt l'Iran, ce qui mettrait les Etats-Unis dans une situation où ils pourraient désigner un bloc menaçant, traditionnel. Un pays comme la France est l'un des rares qui puisse faire échouer cette logique de blocs, un peu comme elle l'a fait avec la guerre d'Irak, avec l'Allemagne. L'Allemagne est un peu hors jeu de ce point de vue, semble-t-il, depuis le départ de Schröder. Et les Etats-Unis peuvent raisonnablement s'imaginer que le départ de Chirac mettrait la France hors jeu.
La France aurait donc, en cas d'agression américaine, la possibilité d'un rôle tout à fait décisif, encore plus important sans doute qu'au moment de la guerre d'Irak, compte tenu de la gravité de ce que les Américains seraient capables de faire. Et, bien entendu, avec nos deux candidats principaux, au stade actuel, on ne peut guère imaginer des merveilles de fermeté. Avec cette précision que Nicolas Sarkozy serait tout à fait capable, puisqu'il a fait allégeance à Bush, d'entraîner la France dans cette guerre éventuelle.
Michel L : Les adeptes d'un certain protectionnisme, José Bové, Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet, entre autres, ont un discours inaudible. Qui aujourd'hui serait assez crédible dans la classe politique pour réhabiliter un certain protectionnisme européen comme vous l'avez défendu dans votre article ?
Emmanuel Todd : Les bribes de protectionnisme dont il s'agit - à gauche ou à droite - ne sont pas réalistes. Je crois que la gauche « antiglobalisation » est un peu paralysée par son universalisme de principe, son internationalisme, qui lui rend difficilement concevable la notion d'un territoire protégé. Le protectionnisme à la Le Pen est absurde, parce que s'appliquant à un seul pays, la France, qui n'est plus à l'échelle des processus économiques. Le seul protectionnisme raisonnable, politiquement et économiquement, doit s'appliquer à l'espace européen. Les institutions européennes existent, et j'ai l'impression que ce projet protectionniste européen n'est pas porté par des candidats qui ne veulent pas tenir compte de l'existence de l'Europe. C'est pour ce genre de raison que j'avais voté oui au référendum constitutionnel, tout en me sentant plus proches des gens qui votaient non.
L'idée était de se dire qu'il fallait des institutions européennes, un minimum de bonne entente entre pays européens, pour, à l'intérieur de ce cadre, redéfinir un projet protectionniste.
Monomox : Supposant que la France et l'Allemagne se mettent d'accord sur une politique protectionniste européenne. Quelle serait alors la réaction de l'Angleterre ?
Emmanuel Todd : Je crois que les Anglais ne peuvent pas accepter un projet protectionniste, car le libre-échange est en Angleterre pratiquement constitutif de l'identité nationale. C'est à mettre sur le même plan que l'attachement au service public en France. Donc, vraisemblablement, un protectionnisme européen ne pourrait être que continental, au sens britannique. Mais il faut accepter de voir l'évidence : le Royaume-Uni n'appartient déjà pas à la zone euro, et son adhésion à la zone euro est très peu vraisemblable, alors que tous les nouveaux entrants ont au contraire vocation à s'intégrer à la zone euro. Cela m'attriste plutôt, car je suis culturellement proche de l'Angleterre, quand même.
Tractatus : Au vu de l'aveuglement persistant de nos élites à l'égard de la question du protectionnisme, ne craignez-vous pas que les questions du protectionnisme et des mauvaises politiques économiques ne soient jamais abordées ? Ne risquons-nous pas de voir les partis fascistes et populistes prendre le pouvoir un peu partout en Europe ?
Emmanuel Todd : Le risque de "dépassement" de la démocratie ou d'entrée dans un âge post-démocratique est tout à fait réel. Mais pour moi, le principal risque ne vient pas de formations d'extrême droite, comme le Front national, aussi haïssables soient-elles. Le risque, il est dans les manipulations dont le suffrage universel est l'objet, dans la capacité des classes supérieures à exclure du débat les questions économiques qui intéressent les gens. Mais on peut effectivement imaginer une séquence catastrophe dans un pays comme la France. Je parle en historien, pas en homme politique. Le refus par les élites d'intégrer ces questions économiques, l'étouffement du débat pourraient mener à l'émergence de certaines formes de violence. Après tout, nous sommes au pays de la crise des banlieues. Et, dans le contexte d'une société atomisée, fragmentée, ces violences ne pourraient pas mener à grand-chose, et au contraire, pourraient servir de prétexte à une reprise en main autoritaire par des gens qui sont déjà au pouvoir.
Zadig : Lequel des candidats à l'élection vous parait-il le plus crédible dans son programme économique ?
JulienleFaquin : François Bayrou, qui a été recommandé par plusieurs grands économistes, n'est-il pas le seul à proposer une solution économique viable et claire dans cette campagne ?
Emmanuel Todd : Aucun candidat n'est crédible pour ce qui m'intéresse. Je suis sûr que les gens de la haute fonction publique ont leur préférence, que les gens de la finance ont leur préférence. Mais, pour ce qui m'intéresse, le contrôle de la globalisation, ils sont également peu crédibles, même s'ils parlent un petit peu maintenant de préférence communautaire. Au stade actuel, on ne peut pas parler de vrai projet. Pour moi, Bayrou, c'est la cerise sur le gâteau, la touche finale, le 3e homme n'apparaissant pas comme l'aube de la modernité, mais comme un fantôme du passé. Arriver en 2007 avec un projet de réduction de la dette, c'est ahurissant de manque d'à-propos, c'est le fantôme de Raymond Barre, de Pinay, de tout ce qu'il y a de plus ringard dans la tradition politique française.
Zadig : M. Bayrou propose deux nouveaux emplois sans charge pendant 5 ans à toutes les entreprises ainsi qu'un "Small Business Act" (discrimination positive à l'égard des PME et TPE). Qu'en pensez-vous ?
Emmanuel Todd : Je pense que François Bayrou est complètement dans le système, et qu'il ne suffit pas de dire qu'on est autre chose que Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal pour être effectivement autre chose. Il est très proche de Prodi, qui est en train de naufrager la gauche italienne. Sur le plan économique, d'après tout ce qu'on entend, c'est l'absence d'imagination au pouvoir.
Chomsky : L'état est structurellement en déficit. Les Etats-Unis sont plus endettés que nous. La dette est elle aussi grave pour la France que ce qu'on nous le dit et quelles en seront les conséquences ?
Emmanuel Todd : La réponse est non : ce n'est pas si grave. Ce qui est grave, c'est la pression externe sur les salaires. La dette de l'Etat est un problème tout à fait mineur. Et j'insiste sur le fait que la fixation de Bayrou sur la question de la dette publique est un signe d'inadaptation à notre époque.
MiB. : Vous disposez d'une notoriété dans votre domaine non contestable et reconnue, pourquoi ne pas avoir mobilisé les candidats sur un réel projet économique comme a su le faire Nicolas Hulot avec son pacte écologique ?
Emmanuel Todd : D'abord, je ne pense pas que le genre de choses dont je parle soit le genre de choses dont parle Nicolas Hulot. Nicolas Hulot parle de sujets sur lesquels tout le monde peut être d'accord. L'écologie est, par définition, un domaine consensuel. Qui aurait intérêt à la destruction de la planète ? C'est la raison pour laquelle l'écologie ne peut pas structurer le jeu politique. Les choses dont je parle sont d'ordre économique, je parle d'emplois, de salaires, d'inégalités, de profits, d'un univers d'intérêts capable par nature de structurer des conflits. Il y a des privilégiés et des non privilégiés. C'est vrai que l'écrasante majorité des Français auraient intérêt à un projet protectionniste, mais les questions économiques doivent mener à des affrontements et à des négociations qui peuvent structurer un jeu politique démocratique. En termes de participation au débat, d'activation du thème protectionniste européen, j'ai fait ce que j'ai pu.
Dams : Il me semble à vous lire, que plus que la question économique, c'est réellement tout un système institutionnel et sociétal qui est à revoir en Europe. Vous qui êtes proche des hautes sphères, avez vous déjà eu vent de réflexions sérieuses dans d'autres pays européens que la France?
Emmanuel Todd : Je ne me sens pas particulièrement proche des hautes sphères. Et de plus, je ne ressens pas les hautes sphères comme d'un très haut niveau intellectuel. Pour parler des autres pays européens, honnêtement non. C'est la France le pays de la révolte, actuellement. Et sur ces questions économiques, pour ce qui concerne la remise en question du libre-échange, les autres pays européens sont plutôt en retard sur nous. Mais le pays important dans lequel il y a eu des débats sur ce thème et où les protectionnistes semblent avoir perdu, ce sont les Etats-Unis. Au début de la présidence Clinton, il y avait eu de grands débats aux Etats-Unis sur les dangers de la concurrence asiatique. C'est d'ailleurs en travaillant sur ces débats américains que j'ai découvert l'œuvre de l'économiste allemand Friedrich List, qui a été tiré des oubliettes par une école américaine, "Strategic Traders". Mais ceux-ci n'ont pas été capables d'imposer leur point de vue, et l'Amérique était trop engagée dans une politique de libre-échange profitant à sa ploutocratie pour revenir en arrière. Mais l'Amérique est dans une position tout à fait particulière puisqu'elle profite d'un système impérial et de la position du dollar pour se nourrir aux frais de la planète avec un déficit commercial de 800 milliards de dollars annuel. Il faudrait trop d'efforts industriels aux Etats-Unis pour sortir de la facilité d'importations non payées, d'une certaine manière, et j'ai du mal à imaginer que la situation change là-bas.
Jacques : Les partis de gouvernement sont tous englués dans le libéralisme ambiant en France et ailleurs en Europe. Comment pourraient-ils opérer une révolution à 90° sans quitter le traité de Maastricht ?
Hervé de Nantes : Dominique de Villepin vous a récemment convié à un congrès, néanmoins aucune décision n'a été prise suite aux annonces d'Airbus ou d'Alcatel pour mieux se protéger en Europe. Comment expliquez-vous ce laissez-faire et la passivité des institutions politiques, notamment Bruxelles et Strasbourg ?
Emmanuel Todd : Il faut être très pessimiste sur l'avenir. Moi, je milite d'une certaine manière pour l'idée de protectionnisme européen, mais le sentiment que cette idée pourrait un jour l'emporter est très faible chez moi. Si je devais évaluer une probabilité de succès d'un tel projet, je la mettrais à 10 %. Cela pour dire que je suis un historien réaliste, et pas un idéologue. Au stade actuel, on ne peut que faire la liste des empêchements à un tel projet : l'absurdité de l'économie dominante, l'ignorance économique des inspecteurs des finances, la malhonnêteté des économistes bancaires, la lâcheté des dirigeants politiques, le tout mélangé pour la bureaucratie bruxelloise.
Compte tenu de la gravité des tensions politiques et sociales, on ne peut exclure un sursaut, une prise de conscience collective, mais pour un historien - l'histoire est mon métier de base -, la chose raisonnable serait de spéculer sur un futur ne réalisant pas un idéal protectionniste. C'est pour cela que je commence à réfléchir au problème de la liquidation du suffrage universel. En tant que citoyen, je suis catastrophé. En tant qu'historien, je suis fasciné. Il y a une vie après la démocratie. Le gros de l'histoire humaine n'est pas démocratique. On peut aussi spéculer sur des phénomènes de dislocation sociale, de véritable régression si les classes dirigeantes s'obstinent dans une idéologie libre-échangiste qui aboutit à la destruction de toute activité de production en France et ailleurs en Europe, etc.
Tractatus : Ne pensez-vous pas qu'au vu de son manque d'assise populaire, et de la fragilité du système dans son ensemble, le capitalisme libéral débridé finira par s'effondrer, à l'instar de l'Union soviétique ?
Emmanuel Todd : Je pense que les Etats-Unis s'effondreront, d'une façon ou d'une autre, à cause de leur position prédatrice dans le système mondial. Ce que je ne sais pas, c'est si la première chose à s'effondrer sera le dollar ou l'armée américaine. Pour le reste, ce serait après l'effondrement américain, et donc difficile à décrire.
Pierrot : Pour qui allez-vous voter à la présidentielle ?
Emmanuel Todd : Je n'ai pas pris de décision et en cela, je pense que je ressemble à beaucoup de Français.
Emmanuel Todd : La vraie bonne question est : pourquoi les économistes actuellement sont-ils mauvais ? Donc : pourquoi suffit-il d'avoir une vision des sciences sociales qui ne sépare pas l'histoire de l'économie, l'économie de la démographie, la sociologie de tout ça, pour accepter de voir l'évidence ?
L'économie est une discipline pauvre, ainsi que le reconnaissait Keynes, assez facile à maîtriser. On la truffe de mathématiques pour faire peur, mais c'est de la poudre aux yeux.
Tractatus : Votre interview dans Télérama a pour principal mérite de contribuer à lever un tabou : celui du protectionnisme. Mais les réticences à l'égard de cette idée sont fortes, surtout au sein de la communauté des économistes. Comment expliquer leur aveuglement actuel par rapport au libre-échange ?
Emmanuel Todd : Ca vaut la peine d'insister sur cette question des économistes, qui sont vraiment au cœur du problème. Il va vraiment falloir admettre que la majorité des gens nommés par le terme d'économiste ne sont pas des savants, mais des idéologues, des "chiens de garde", comme aurait dit mon grand-père.
Yacine: M. Hakim El Karoui a écrit un livre, "L'Avenir d'une exception", qui vulgarise vos thèses et propose des débuts de solutions concrètes. L'avez vous lu ? Que pensez-vous de son "programme" ?
Emmanuel Todd : Hakim El Karoui est devenu un copain, un complice. On est d'accord sur l'essentiel. On travaille d’ailleurs ensemble sur ces questions.
Delcat : Pourquoi à votre avis, la question de l'économie n'est-elle pas abordée dans cette campagne ? Est-ce un aveu d'impuissance devant un mécanisme qui échappe à la dimension nationale ? Est-ce par peur de choquer un électorat rivé sur ses acquis, tremblant devant la libéralisation ? Cette libéralisation n'est-elle pourtant pas la seule issue ?
Emmanuel Todd : Non, c'est parce que le système politique, idéologique est actuellement tenu par ce qu'on peut appeler les classes supérieures, une oligarchie qui se trouve bien dans le système économique actuel et qui n’est donc pas capable de concevoir autre chose. C'est l'un des enseignements valables du marxisme : il est très difficile de penser contre son intérêt immédiat. C'est particulièrement difficile aujourd'hui dans une situation d'atomisation, d'"hyperindividualisme".
Sceptique : Ne pensez-vous pas que "les candidats du vide" bénéficient de la faible culture économique des Français, ce qui leur permet de raconter n'importe quoi ? En effet, bon nombre de gens se positionnent à partir d'un imaginaire économique plus ou moins construit par les hommes politiques et les médias. Seriez-vous intéressé par la création collégiale d'une encyclopédie économique en ligne à destination de tous les Français pour leur permettre de comprendre les mécanismes de base de l'économie ?
Emmanuel Todd : J'ai déjà assez de travail, malheureusement. Mais sur le fond, ce n'est pas vrai : l'enseignement des dernières élections et du dernier référendum, c'est que le gros de la population ne croit plus aux "bavardes" économiques des dirigeants. La mécanique du libre-échange, qui entraîne pression sur les salaires, délocalisations et augmentation des inégalités, je pense que la plupart des gens comprennent très bien. Ce sont les économistes professionnels - pas tous quand même -, disons, la pensée économique dominante, qui refuse de comprendre. Mon sentiment est que les dirigeants sont plutôt comme des citoyens de base, qu'ils comprennent, mais qu'ils n'osent pas agir, étant paralysés par l'ambiance intellectuelle générale.
Nat : Quand la plupart des lois et règlementations qui s'appliquent chez nous sont décidées au niveau européen, quel programme protectionniste un candidat à l'Elysée peut-il proposer sans que l'Europe lui impose le contraire ? Est-il possible pour la France de faire du protectionnisme sans se retrouver en rupture avec l'Europe ? Quelles sont ses marges de manœuvre ?
Emmanuel Todd : Le seul protectionnisme concevable est européen. Tout projet protectionniste suppose, plus qu'une négociation, un bras-de-fer en Europe. Il faut faire comprendre aux grands pays européens que c'est leur intérêt, au premier chef à l'Allemagne, et ne pas avoir peur de dire que si ces pays ne se rallient pas, la solution raisonnable pour un pays comme la France est de sortir de l'euro.
Claire : Comment appliquer le protectionnisme face à des industriels français qui font fabriquer une partie de leurs produits hors des frontières européennes ? Et l'entrée de pays eux-mêmes émergents (Pologne, Roumanie) dans l'Union européenne ne peut-elle pas rendre inefficaces des mesures protectionnistes à l'échelle européenne ?
Emmanuel Todd : Les industriels ne sont pas un problème. Ils appliqueront les règles qu'on leur imposera. Et si on leur redéfinit un marché intérieur européen de 450 millions d'individus, ils s'adapteront et ils y trouveront de nouvelles possibilités d'équilibre et d'activité. Il est vrai que les pays émergents exercent une pression certaine et qu'il existe des processus de délocalisation internes à l'espace européen. Mais justement, toute l'idée d'un protectionnisme européen collectif consiste à admettre cette position des pays de l'Est, mais à dire également que la pression extérieure s'arrête là, et de reconstituer avec le temps, à l'intérieur d'une protection communautaire, un minimum de solidarité entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. En fait, il s'agit de faire à l'échelle de l'Europe ce qui a été fait à l'intérieur d'un pays comme la France au moment de la liquidation des barrières internes de l'Ancien régime.
Hadrien : Les dernières chutes des bourses sont-elles la préfiguration d'une vraie crise économique ?
Lilou1 : Pensez-vous qu'un crash immobilier nous guette ?
Emmanuel Todd : A court ou moyen terme, je n'en ai aucune idée. Les prédictions à long terme sont à la fois faciles et floues. On ne peut que concevoir une crise majeure, mais le lieu et le secteur de démarrage de la crise, à mon avis, sont au-delà de toutes compétences.
Serge Soudoplatoff : J'ai lu dans votre interview un passage sur l'économie de l'immatériel, que vous semblez rejeter, si je vous ai bien lu (peut-être me trompé-je ?). Pour moi, il existe une économie de l'immatériel. Lorsqu'on partage un bien matériel il se divise alors que lorsqu'on partage un bien immatériel il se multiplie. C'est une économie de rareté d'un côté, et une économie d'abondance de l'autre. L'exemple le plus frappant est la pression de l'industrie du contenu, musique ou film, qui condamne les échanges de fichiers et essaye de maintenir des règles de rareté. Et si c'était cette économie qui maintenait les Etats-Unis encore à un niveau économique élevé ? Et si le choix d'Internet comme nouveau vecteur de progrès n'était qu'une vision d'un monde où la valeur quitterait la matière pour descendre dans le peer to peer ? Le modèle du logiciel libre n'est-il pas précurseur d'une nouvelle économie ?
Emmanuel Todd : Donnez-moi tout de suite votre ordinateur, puisque vous n'avez pas besoin de matériel. Faites-le parvenir à Télérama, qui me l'enverra. Je vous laisse les réseaux câblés.
Franz : Vous indiquez que les Etats-Unis attendent la présidentielle française pour attaquer l'Iran, afin de ne pas avoir M. Chirac dans les jambes. N'est-ce pas donner trop d'importance au président Chirac ? Ou au contraire, pensez-vous qu'il ait une réelle influence ?
Emmanuel Todd : La France a une réelle importance dans le dispositif stratégique américain, parce que les Etats-Unis ne seraient pas mécontents de voir se reconstituer des blocs rappelant la guerre froide. Dans un conflit avec l'Iran, il est vraisemblable que la Russie et la Chine soutiendraient plutôt l'Iran, ce qui mettrait les Etats-Unis dans une situation où ils pourraient désigner un bloc menaçant, traditionnel. Un pays comme la France est l'un des rares qui puisse faire échouer cette logique de blocs, un peu comme elle l'a fait avec la guerre d'Irak, avec l'Allemagne. L'Allemagne est un peu hors jeu de ce point de vue, semble-t-il, depuis le départ de Schröder. Et les Etats-Unis peuvent raisonnablement s'imaginer que le départ de Chirac mettrait la France hors jeu.
La France aurait donc, en cas d'agression américaine, la possibilité d'un rôle tout à fait décisif, encore plus important sans doute qu'au moment de la guerre d'Irak, compte tenu de la gravité de ce que les Américains seraient capables de faire. Et, bien entendu, avec nos deux candidats principaux, au stade actuel, on ne peut guère imaginer des merveilles de fermeté. Avec cette précision que Nicolas Sarkozy serait tout à fait capable, puisqu'il a fait allégeance à Bush, d'entraîner la France dans cette guerre éventuelle.
Michel L : Les adeptes d'un certain protectionnisme, José Bové, Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet, entre autres, ont un discours inaudible. Qui aujourd'hui serait assez crédible dans la classe politique pour réhabiliter un certain protectionnisme européen comme vous l'avez défendu dans votre article ?
Emmanuel Todd : Les bribes de protectionnisme dont il s'agit - à gauche ou à droite - ne sont pas réalistes. Je crois que la gauche « antiglobalisation » est un peu paralysée par son universalisme de principe, son internationalisme, qui lui rend difficilement concevable la notion d'un territoire protégé. Le protectionnisme à la Le Pen est absurde, parce que s'appliquant à un seul pays, la France, qui n'est plus à l'échelle des processus économiques. Le seul protectionnisme raisonnable, politiquement et économiquement, doit s'appliquer à l'espace européen. Les institutions européennes existent, et j'ai l'impression que ce projet protectionniste européen n'est pas porté par des candidats qui ne veulent pas tenir compte de l'existence de l'Europe. C'est pour ce genre de raison que j'avais voté oui au référendum constitutionnel, tout en me sentant plus proches des gens qui votaient non.
L'idée était de se dire qu'il fallait des institutions européennes, un minimum de bonne entente entre pays européens, pour, à l'intérieur de ce cadre, redéfinir un projet protectionniste.
Monomox : Supposant que la France et l'Allemagne se mettent d'accord sur une politique protectionniste européenne. Quelle serait alors la réaction de l'Angleterre ?
Emmanuel Todd : Je crois que les Anglais ne peuvent pas accepter un projet protectionniste, car le libre-échange est en Angleterre pratiquement constitutif de l'identité nationale. C'est à mettre sur le même plan que l'attachement au service public en France. Donc, vraisemblablement, un protectionnisme européen ne pourrait être que continental, au sens britannique. Mais il faut accepter de voir l'évidence : le Royaume-Uni n'appartient déjà pas à la zone euro, et son adhésion à la zone euro est très peu vraisemblable, alors que tous les nouveaux entrants ont au contraire vocation à s'intégrer à la zone euro. Cela m'attriste plutôt, car je suis culturellement proche de l'Angleterre, quand même.
Tractatus : Au vu de l'aveuglement persistant de nos élites à l'égard de la question du protectionnisme, ne craignez-vous pas que les questions du protectionnisme et des mauvaises politiques économiques ne soient jamais abordées ? Ne risquons-nous pas de voir les partis fascistes et populistes prendre le pouvoir un peu partout en Europe ?
Emmanuel Todd : Le risque de "dépassement" de la démocratie ou d'entrée dans un âge post-démocratique est tout à fait réel. Mais pour moi, le principal risque ne vient pas de formations d'extrême droite, comme le Front national, aussi haïssables soient-elles. Le risque, il est dans les manipulations dont le suffrage universel est l'objet, dans la capacité des classes supérieures à exclure du débat les questions économiques qui intéressent les gens. Mais on peut effectivement imaginer une séquence catastrophe dans un pays comme la France. Je parle en historien, pas en homme politique. Le refus par les élites d'intégrer ces questions économiques, l'étouffement du débat pourraient mener à l'émergence de certaines formes de violence. Après tout, nous sommes au pays de la crise des banlieues. Et, dans le contexte d'une société atomisée, fragmentée, ces violences ne pourraient pas mener à grand-chose, et au contraire, pourraient servir de prétexte à une reprise en main autoritaire par des gens qui sont déjà au pouvoir.
Zadig : Lequel des candidats à l'élection vous parait-il le plus crédible dans son programme économique ?
JulienleFaquin : François Bayrou, qui a été recommandé par plusieurs grands économistes, n'est-il pas le seul à proposer une solution économique viable et claire dans cette campagne ?
Emmanuel Todd : Aucun candidat n'est crédible pour ce qui m'intéresse. Je suis sûr que les gens de la haute fonction publique ont leur préférence, que les gens de la finance ont leur préférence. Mais, pour ce qui m'intéresse, le contrôle de la globalisation, ils sont également peu crédibles, même s'ils parlent un petit peu maintenant de préférence communautaire. Au stade actuel, on ne peut pas parler de vrai projet. Pour moi, Bayrou, c'est la cerise sur le gâteau, la touche finale, le 3e homme n'apparaissant pas comme l'aube de la modernité, mais comme un fantôme du passé. Arriver en 2007 avec un projet de réduction de la dette, c'est ahurissant de manque d'à-propos, c'est le fantôme de Raymond Barre, de Pinay, de tout ce qu'il y a de plus ringard dans la tradition politique française.
Zadig : M. Bayrou propose deux nouveaux emplois sans charge pendant 5 ans à toutes les entreprises ainsi qu'un "Small Business Act" (discrimination positive à l'égard des PME et TPE). Qu'en pensez-vous ?
Emmanuel Todd : Je pense que François Bayrou est complètement dans le système, et qu'il ne suffit pas de dire qu'on est autre chose que Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal pour être effectivement autre chose. Il est très proche de Prodi, qui est en train de naufrager la gauche italienne. Sur le plan économique, d'après tout ce qu'on entend, c'est l'absence d'imagination au pouvoir.
Chomsky : L'état est structurellement en déficit. Les Etats-Unis sont plus endettés que nous. La dette est elle aussi grave pour la France que ce qu'on nous le dit et quelles en seront les conséquences ?
Emmanuel Todd : La réponse est non : ce n'est pas si grave. Ce qui est grave, c'est la pression externe sur les salaires. La dette de l'Etat est un problème tout à fait mineur. Et j'insiste sur le fait que la fixation de Bayrou sur la question de la dette publique est un signe d'inadaptation à notre époque.
MiB. : Vous disposez d'une notoriété dans votre domaine non contestable et reconnue, pourquoi ne pas avoir mobilisé les candidats sur un réel projet économique comme a su le faire Nicolas Hulot avec son pacte écologique ?
Emmanuel Todd : D'abord, je ne pense pas que le genre de choses dont je parle soit le genre de choses dont parle Nicolas Hulot. Nicolas Hulot parle de sujets sur lesquels tout le monde peut être d'accord. L'écologie est, par définition, un domaine consensuel. Qui aurait intérêt à la destruction de la planète ? C'est la raison pour laquelle l'écologie ne peut pas structurer le jeu politique. Les choses dont je parle sont d'ordre économique, je parle d'emplois, de salaires, d'inégalités, de profits, d'un univers d'intérêts capable par nature de structurer des conflits. Il y a des privilégiés et des non privilégiés. C'est vrai que l'écrasante majorité des Français auraient intérêt à un projet protectionniste, mais les questions économiques doivent mener à des affrontements et à des négociations qui peuvent structurer un jeu politique démocratique. En termes de participation au débat, d'activation du thème protectionniste européen, j'ai fait ce que j'ai pu.
Dams : Il me semble à vous lire, que plus que la question économique, c'est réellement tout un système institutionnel et sociétal qui est à revoir en Europe. Vous qui êtes proche des hautes sphères, avez vous déjà eu vent de réflexions sérieuses dans d'autres pays européens que la France?
Emmanuel Todd : Je ne me sens pas particulièrement proche des hautes sphères. Et de plus, je ne ressens pas les hautes sphères comme d'un très haut niveau intellectuel. Pour parler des autres pays européens, honnêtement non. C'est la France le pays de la révolte, actuellement. Et sur ces questions économiques, pour ce qui concerne la remise en question du libre-échange, les autres pays européens sont plutôt en retard sur nous. Mais le pays important dans lequel il y a eu des débats sur ce thème et où les protectionnistes semblent avoir perdu, ce sont les Etats-Unis. Au début de la présidence Clinton, il y avait eu de grands débats aux Etats-Unis sur les dangers de la concurrence asiatique. C'est d'ailleurs en travaillant sur ces débats américains que j'ai découvert l'œuvre de l'économiste allemand Friedrich List, qui a été tiré des oubliettes par une école américaine, "Strategic Traders". Mais ceux-ci n'ont pas été capables d'imposer leur point de vue, et l'Amérique était trop engagée dans une politique de libre-échange profitant à sa ploutocratie pour revenir en arrière. Mais l'Amérique est dans une position tout à fait particulière puisqu'elle profite d'un système impérial et de la position du dollar pour se nourrir aux frais de la planète avec un déficit commercial de 800 milliards de dollars annuel. Il faudrait trop d'efforts industriels aux Etats-Unis pour sortir de la facilité d'importations non payées, d'une certaine manière, et j'ai du mal à imaginer que la situation change là-bas.
Jacques : Les partis de gouvernement sont tous englués dans le libéralisme ambiant en France et ailleurs en Europe. Comment pourraient-ils opérer une révolution à 90° sans quitter le traité de Maastricht ?
Hervé de Nantes : Dominique de Villepin vous a récemment convié à un congrès, néanmoins aucune décision n'a été prise suite aux annonces d'Airbus ou d'Alcatel pour mieux se protéger en Europe. Comment expliquez-vous ce laissez-faire et la passivité des institutions politiques, notamment Bruxelles et Strasbourg ?
Emmanuel Todd : Il faut être très pessimiste sur l'avenir. Moi, je milite d'une certaine manière pour l'idée de protectionnisme européen, mais le sentiment que cette idée pourrait un jour l'emporter est très faible chez moi. Si je devais évaluer une probabilité de succès d'un tel projet, je la mettrais à 10 %. Cela pour dire que je suis un historien réaliste, et pas un idéologue. Au stade actuel, on ne peut que faire la liste des empêchements à un tel projet : l'absurdité de l'économie dominante, l'ignorance économique des inspecteurs des finances, la malhonnêteté des économistes bancaires, la lâcheté des dirigeants politiques, le tout mélangé pour la bureaucratie bruxelloise.
Compte tenu de la gravité des tensions politiques et sociales, on ne peut exclure un sursaut, une prise de conscience collective, mais pour un historien - l'histoire est mon métier de base -, la chose raisonnable serait de spéculer sur un futur ne réalisant pas un idéal protectionniste. C'est pour cela que je commence à réfléchir au problème de la liquidation du suffrage universel. En tant que citoyen, je suis catastrophé. En tant qu'historien, je suis fasciné. Il y a une vie après la démocratie. Le gros de l'histoire humaine n'est pas démocratique. On peut aussi spéculer sur des phénomènes de dislocation sociale, de véritable régression si les classes dirigeantes s'obstinent dans une idéologie libre-échangiste qui aboutit à la destruction de toute activité de production en France et ailleurs en Europe, etc.
Tractatus : Ne pensez-vous pas qu'au vu de son manque d'assise populaire, et de la fragilité du système dans son ensemble, le capitalisme libéral débridé finira par s'effondrer, à l'instar de l'Union soviétique ?
Emmanuel Todd : Je pense que les Etats-Unis s'effondreront, d'une façon ou d'une autre, à cause de leur position prédatrice dans le système mondial. Ce que je ne sais pas, c'est si la première chose à s'effondrer sera le dollar ou l'armée américaine. Pour le reste, ce serait après l'effondrement américain, et donc difficile à décrire.
Pierrot : Pour qui allez-vous voter à la présidentielle ?
Emmanuel Todd : Je n'ai pas pris de décision et en cela, je pense que je ressemble à beaucoup de Français.
Mercredi 28 Février 2007
Emmanuel Todd - Telerama - février 2007
Face à la concurrence des pays émergents, un "protectionnisme européen raisonnable" s’impose, estime l’historien. Pourquoi l’économie n’est-elle pas au centre du débat électoral ?
Serait-il en voie de devenir le gourou des politiques ? Rappelez-vous sa fameuse note de l’automne 1994, Aux origines du malaise politique, qui permit à Jacques Chirac de mener campagne sur la « fracture sociale ». Peu se souviennent que, dès 1976, à l’âge de 25 ans, le jeune démographe Emmanuel Todd avait prédit dans La Chute finale la décomposition de l’Union soviétique. En 2002, il règle aussi le sort des Etats-Unis (Après l’empire) et continue de guetter leur effondrement. Et voilà qu’à l’automne dernier, il est parti en guerre contre les « candidats du vide » que sont à ses yeux Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Son nouveau combat ? La création d’une aire protectionniste européenne, afin de soulager les classes laborieuses des maux du libre-échange. A voir la virulence des réactions qu’il suscite, il semble que le petit-fils de l’écrivain Paul Nizan et le fils du journaliste Olivier Todd gratte à nouveau là où ça fait mal…
Le 13 septembre 2006, vous déclariez dans une interview au Parisien : « Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont “les candidats du vide”. » C’est toujours votre opinion ?
A ce jour, je ne vois pas ce qui pourrait me faire changer d’avis. Je les appelle comme ça non pas pour leur côté people, la brume autour de leur vie de couple, mais pour une absence de discours sur la seule chose qui intéresse et angoisse les Français : le système économique qui a engendré la pression sur les salaires et l’insécurité sociale. Toutefois, il serait injuste de jeter l’anathème sur Sarkozy sous prétexte qu’il dit tout et n’importe quoi, et sur Ségolène Royal parce qu’elle ne dit rien sur l’économie, sans ajouter que François Bayrou les a malheureusement rejoints. Je persiste à dire que s’ils ne mettent pas la question du libre-échange au cœur de leur programme, ils seront à côté de la situation réelle du pays, des souffrances des gens. Cela explique que la campagne ne démarre pas, et que le corps électoral ne suive pas.
Vous dénoncez un « système médiatico-sondagier » qui aurait « imposé » le binôme Sarkozy-Royal...
Dans les phases pré-électorales, avant que les thèmes aient été présentés par les candidats ou les partis, l’électorat populaire est inerte. Les sondages qui ont été réalisés à ce moment-là représentaient l’opinion des classes moyennes, et plutôt des classes moyennes supérieures, parmi lesquelles on trouve les journalistes, les sondeurs… Ces derniers le savaient mais, au lieu de reconnaître que leur boulot ne valait rien, ont préféré dire : « les sondages sont une photographie de l’opinion à un moment donné ». C’est une escroquerie ! Ils suggèrent que l’opinion change, alors qu’on assiste en réalité à un phénomène de formation, de cristallisation d’une opinion populaire qui n’existait pas et qui émerge dans le courant de la campagne.
Mais ce ne sont quand même pas les sondeurs qui ont choisi Ségolène Royal !
Il est vrai que les adhérents n’étaient pas obligés d’écouter les sondages qui leur disaient que seule Ségolène Royal avait des chances. Beaucoup plus qu’il n’a désigné sa candidate, le PS s’est révélé indifférent aux questions économiques. C’est dommage, lorsque l’on voit qu’un Fabius, dans ses derniers discours, a mûri sa réflexion et propose une vraie vision de l’Europe.
Un peu tard…
Oui, mais il ouvre aujourd’hui la voie à une contestation efficace du libre-échange. Et le premier candidat majeur qui abordera le sujet cassera la baraque !
A quoi le voyez-vous ?
A l’automne dernier, j’ai fait quelques interventions radio en faveur de ce que j’appelle « un protectionnisme européen raisonnable ». La montée d’un prolétariat chinois sous-payé a un effet gravement déflationniste sur les prix et les salaires des pays industrialisés et elle n’est pas près d’être enrayée, car la Chine est un pays totalitaire. Il faut donc des barrières douanières et des contingentements provisoires. J’ai été très frappé de la réceptivité de la société française à cette remise en question du libre-échange. Puis Dominique de Villepin m’a demandé d’ouvrir la conférence sur l’emploi par un topo sur le sujet. Lorsque vous intervenez, non plus à la radio, mais au cœur du système, en présence du Premier ministre, du ministre de l’Economie, des syndicats, du Medef, c’est la panique. Tout le monde sent en effet qu’un candidat qui arriverait avec un projet protectionniste européen bien ficelé serait élu, d’où qu’il vienne. Et personne ne peut rire d’une Europe protégée de 450 millions d’habitants, d’autant moins qu’elle pourrait réaliser l’impossible, c’est-à-dire, à l’intérieur de chaque pays, la réconciliation des dirigeants et des groupes sociaux.
Vous avez déclaré que l’émergence du thème protectionniste viendrait plutôt de la droite…
Le Parti socialiste et l’UMP sont tous deux décrochés des milieux populaires et probablement d’une bonne partie des classes moyennes. Ce sont des superstructures qui flottent dans les classes moyennes supérieures. Mais cette oligarchie est coupée par le milieu : le PS représente l’Etat, et l’UMP, le marché. Ceux qui sont bien logés dans l’appareil d’Etat – fonctionnaires de catégorie A, j’en fais partie – ont une indifférence encore plus grande aux maux du libre-échange. A droite, c’est vrai que le capitalisme financier s’en contrefout. Mais ce n’est pas le cas des secteurs de production. N’oubliez pas que le premier théoricien du protectionnisme, l’économiste allemand Friedrich List, était un libéral. Les protectionnistes sont des adeptes du marché, à condition de définir la taille du terrain…
La régulation du marché ne serait pas qu’une histoire de gauche ?
D’abord, il faut rappeler que les socialistes ont une arrogance de bons élèves que n’ont pas les gens de droite. Ils oublient facilement que dans l’histoire des idées économiques, les basculements sont transpartisans ; au début des années 70, la gauche et la droite étaient en faveur d’une économie régulée par l’Etat. Le basculement dans l’ultralibéralisme a fini par toucher tout le monde. Si l’on en vient, comme je l’espère, à l’idée que la protection européenne est la bonne solution, au final, gauche et droite seront d’accord. Reste à savoir qui va démarrer le premier.
Vous avez eu des mots très durs pour « la petite bourgeoisie d’Etat », qui « ne comprend pas l’économie »…
L’une des forces de la France, c’est son égalitarisme, et la capacité de sa population à s’insurger. Cet esprit de contestation explique dans notre pays la suprématie de la sociologie. En revanche, la France n’a jamais été en Europe l’économie dominante, elle a toujours été, depuis le Moyen Age, en deuxième position. La pensée économique française est donc restée à la traîne. Il se trouve que notre unique Prix Nobel d’économie, Maurice Allais, un vieux monsieur, est protectionniste ! Alors on décrète que notre vieux Prix Nobel ne vaut rien en économie… Ne soyons pas naïfs, toutes les rigidités ne sont pas intellectuelles, car deux nouvelles catégories de soi-disant économistes sont apparues : des types issus de la haute fonction publique, d’autant plus adeptes du marché qu’ils ne savent pas ce que c’est, et des économistes bancaires, qui sont en fait des commerciaux dont les intérêts sont imbriqués à ceux du système.
Vous avez prédit en 2003 le déclin américain, qu’on ne voit toujours pas venir…
Je maintiens que si une économie est puissante, cela s’exprime dans l’échange international. Or, les Etats-Unis, avec 800 milliards de déficit commercial, sont déficitaires avec tous les pays du monde, y compris l’Ukraine. Les Etats-Unis, c’est le pays des mauvaises bagnoles, des trains qui vont lentement, où rien ne marche très bien, où il est difficile de faire changer un compteur à gaz en dehors des grandes villes, où la mortalité infantile est la plus forte du monde occidental. Où l’informatisation et la robotisation – c’est masqué par l’essor des ordinateurs individuels – est faible. Là-bas, le discours sur l’économie virtuelle, sur « l’immatériel », est un discours délirant. Parce que l’économie, ce n’est pas l’abolition de la matière, mais sa transformation par l’intelligence.De temps en temps, l’état réel de l’Amérique apparaît : face à un événement comme l’ouragan Katryna, l’économie virtuelle, les avocats, les financiers, pas terrible, hein…
C’est cette Amérique-là qui fascine Nicolas Sarkozy...
Ce n’est pas tant le bushisme de Sarkozy qui est scandaleux, que sa mauvaise maîtrise du temps, son manque d’à-propos, puisqu’il est allé faire allégeance à Bush juste avant que l’énormité de son échec en Irak ne soit reconnue aux Etats-Unis mêmes ; quant à Ségolène Royal, elle a manifesté une vraie rigidité de pensée en refusant pour l’Iran le nucléaire civil aussi bien que militaire. Je ne vois pas comment ces deux candidats pourraient penser le protectionnisme européen, question qui suppose intérêt pour l’économie, mais aussi maîtrise de la politique étrangère, car la première chose qu’il va falloir faire, c’est négocier avec l’Allemagne !
L’économie allemande est repartie. En quoi l’Allemagne aurait-elle besoin du protectionnisme ?
Pour les idéologues du libre-échange, l’Allemagne est le pays qui réussit le mieux. Mais de mon point de vue, c’est celui qui arrive le mieux à se torturer lui-même. Au prix d’une terrible compression salariale, l’Allemagne a abaissé ses coûts de production et gagné des parts de marché en Europe, contribuant à l’asphyxie de la France et de l’Italie.
Elle aurait maintenant tout à gagner à un marché européen prospère, où l’on protège nos frontières, augmente les salaires, gonfle la demande intérieure. Tout cela, il faut le penser, être capable de le négocier. Et je ne ressens pas dans notre binôme cette compétence diplomatique…
Le système libéral peut-il se régénérer ?
Le libre-échange intégral et la démocratie sont incompatibles, tout simplement parce que la majorité des gens ne veut pas du libre-échange. Donc, soit la démocratie gagne et on renonce au libre-échange, soit on supprime le suffrage universel parce qu’il ne donne pas les résultats souhaités par les libéraux. Le seul pays à avoir jamais inscrit dans sa Constitution le libre-échange a été les Etats américains sudistes, esclavagistes. Le Nord, industriel et démocratique, derrière Lincoln, était protectionniste. Normal, puisque le protectionnisme définit une communauté solidaire et relativement égalitaire, alors que le libre-échange suppose des ploutocrates et une plèbe. La Chine a résolu le problème : c’est un modèle totalitaire qui pratique le libre-échange. Avec la Chine, on parle d’un modèle capitaliste imparfait, alors que c’est peut-être le modèle achevé !
Si l’Europe se décidait pour le protectionnisme, comment la Chine réagirait-elle ?
Elle s’écraserait parce qu’elle a trop besoin des machines-outils allemandes. Le rétablissement d’une souveraineté économique aux frontières de l’Europe renforcerait nos capacités de négociation. Le protectionnisme, ce n’est pas l’autarcie, on définit des zones de protection, tout peut se négocier. Ce n’est pas un univers idéologique, contrairement au libre-échange qui prétend avoir une recette universelle pour tous les produits.
Autre sujet polémique, l’Iran, que vous déclarez depuis 2002 être engagé « dans un processus d’apaisement intérieur et extérieur »…
En octobre, dans Marianne, je disais : Ahmadinejad et ses horreurs sur l’Holocauste, ce n’est que la surface des choses, il faut faire le pari d’un Iran avec de vraies virtualités démocratiques, associé à sa spécificité chiite, parce que le chiisme, culture du débat, de la révolte, est une bonne matrice pour la démocratie. Or, que s’est-il passé ? Ahmadinejad s’est pris une claque électorale. Vous remarquerez d’ailleurs que l’Iran, où l’alphabétisation des femmes a fait chuter la fécondité à 2,1, où les étudiants sont en majorité des étudiantes, est un pays qui n’arrête pas de voter ! Il faut donc continuer à dire tout le mal qu’on pense d’Ahmadinejad, mais résister aux provocations, ne pas se laisser entraîner par les Etats-Unis dans une confrontation.
Pourquoi l’Europe devrait-elle se rapprocher de l’Iran ?
L’objectif des Etats-Unis n’était pas seulement de faire la guerre en Irak mais d’entraîner Français et Allemands dans cette guerre, et ils feront de même avec l’Iran. Par ailleurs, l’intérêt des Iraniens est d’importer des machines-outils européennes, celui des Européens, inquiets de la prédominance de la Russie dans leurs approvisionnements énergétiques, est d’avoir un deuxième partenaire. Ma position traduit un désir de paix mêlé d’une géopolitique raisonnable. Mais je crains que les Américains n’attendent la présidentielle française pour déclencher leur attaque sur l’Iran, une fois débarrassés de Chirac. Il faut donc absolument contraindre nos deux candidats à dire ce qu’ils feraient en cas d’attaque américaine.
Le goût de la prospection, d’où vous vient-il ?
De formation, je suis historien. C’est normal de vouloir connaître la suite de l’histoire non ? Je ne suis jamais allé en Iran, et je n’étais pas allé en Union soviétique avant d’annoncer l’effondrement du système, mais je ne suis pas davantage allé dans le XVIIIe siècle. Sur ces pays, je travaille en historien, à travers des documents, des paramètres, des statistiques. Et je prolonge des tendances… Tous les historiens ne se promènent pas dans le futur immédiat… On va souvent vers l’histoire pour échapper au présent, pour se réfugier dans le bruit et la fureur des événements d’autrefois. Mais quand on parle à des médiévistes, on s’aperçoit qu’ils ont une vision aiguë du présent. Simplement, ils n’ont pas le goût de faire ça. Il faut dire que le présent est très inquiétant. En ce moment, je travaille sur les systèmes familiaux du passé, et quand j’essaie de dater l’émergence de la famille communautaire en Chine, dans mon petit bureau, avec mes petites cartes, je me sens protégé.
Propos recueillis par Vincent Remy
Serait-il en voie de devenir le gourou des politiques ? Rappelez-vous sa fameuse note de l’automne 1994, Aux origines du malaise politique, qui permit à Jacques Chirac de mener campagne sur la « fracture sociale ». Peu se souviennent que, dès 1976, à l’âge de 25 ans, le jeune démographe Emmanuel Todd avait prédit dans La Chute finale la décomposition de l’Union soviétique. En 2002, il règle aussi le sort des Etats-Unis (Après l’empire) et continue de guetter leur effondrement. Et voilà qu’à l’automne dernier, il est parti en guerre contre les « candidats du vide » que sont à ses yeux Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Son nouveau combat ? La création d’une aire protectionniste européenne, afin de soulager les classes laborieuses des maux du libre-échange. A voir la virulence des réactions qu’il suscite, il semble que le petit-fils de l’écrivain Paul Nizan et le fils du journaliste Olivier Todd gratte à nouveau là où ça fait mal…
Le 13 septembre 2006, vous déclariez dans une interview au Parisien : « Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont “les candidats du vide”. » C’est toujours votre opinion ?
A ce jour, je ne vois pas ce qui pourrait me faire changer d’avis. Je les appelle comme ça non pas pour leur côté people, la brume autour de leur vie de couple, mais pour une absence de discours sur la seule chose qui intéresse et angoisse les Français : le système économique qui a engendré la pression sur les salaires et l’insécurité sociale. Toutefois, il serait injuste de jeter l’anathème sur Sarkozy sous prétexte qu’il dit tout et n’importe quoi, et sur Ségolène Royal parce qu’elle ne dit rien sur l’économie, sans ajouter que François Bayrou les a malheureusement rejoints. Je persiste à dire que s’ils ne mettent pas la question du libre-échange au cœur de leur programme, ils seront à côté de la situation réelle du pays, des souffrances des gens. Cela explique que la campagne ne démarre pas, et que le corps électoral ne suive pas.
Vous dénoncez un « système médiatico-sondagier » qui aurait « imposé » le binôme Sarkozy-Royal...
Dans les phases pré-électorales, avant que les thèmes aient été présentés par les candidats ou les partis, l’électorat populaire est inerte. Les sondages qui ont été réalisés à ce moment-là représentaient l’opinion des classes moyennes, et plutôt des classes moyennes supérieures, parmi lesquelles on trouve les journalistes, les sondeurs… Ces derniers le savaient mais, au lieu de reconnaître que leur boulot ne valait rien, ont préféré dire : « les sondages sont une photographie de l’opinion à un moment donné ». C’est une escroquerie ! Ils suggèrent que l’opinion change, alors qu’on assiste en réalité à un phénomène de formation, de cristallisation d’une opinion populaire qui n’existait pas et qui émerge dans le courant de la campagne.
Mais ce ne sont quand même pas les sondeurs qui ont choisi Ségolène Royal !
Il est vrai que les adhérents n’étaient pas obligés d’écouter les sondages qui leur disaient que seule Ségolène Royal avait des chances. Beaucoup plus qu’il n’a désigné sa candidate, le PS s’est révélé indifférent aux questions économiques. C’est dommage, lorsque l’on voit qu’un Fabius, dans ses derniers discours, a mûri sa réflexion et propose une vraie vision de l’Europe.
Un peu tard…
Oui, mais il ouvre aujourd’hui la voie à une contestation efficace du libre-échange. Et le premier candidat majeur qui abordera le sujet cassera la baraque !
A quoi le voyez-vous ?
A l’automne dernier, j’ai fait quelques interventions radio en faveur de ce que j’appelle « un protectionnisme européen raisonnable ». La montée d’un prolétariat chinois sous-payé a un effet gravement déflationniste sur les prix et les salaires des pays industrialisés et elle n’est pas près d’être enrayée, car la Chine est un pays totalitaire. Il faut donc des barrières douanières et des contingentements provisoires. J’ai été très frappé de la réceptivité de la société française à cette remise en question du libre-échange. Puis Dominique de Villepin m’a demandé d’ouvrir la conférence sur l’emploi par un topo sur le sujet. Lorsque vous intervenez, non plus à la radio, mais au cœur du système, en présence du Premier ministre, du ministre de l’Economie, des syndicats, du Medef, c’est la panique. Tout le monde sent en effet qu’un candidat qui arriverait avec un projet protectionniste européen bien ficelé serait élu, d’où qu’il vienne. Et personne ne peut rire d’une Europe protégée de 450 millions d’habitants, d’autant moins qu’elle pourrait réaliser l’impossible, c’est-à-dire, à l’intérieur de chaque pays, la réconciliation des dirigeants et des groupes sociaux.
Vous avez déclaré que l’émergence du thème protectionniste viendrait plutôt de la droite…
Le Parti socialiste et l’UMP sont tous deux décrochés des milieux populaires et probablement d’une bonne partie des classes moyennes. Ce sont des superstructures qui flottent dans les classes moyennes supérieures. Mais cette oligarchie est coupée par le milieu : le PS représente l’Etat, et l’UMP, le marché. Ceux qui sont bien logés dans l’appareil d’Etat – fonctionnaires de catégorie A, j’en fais partie – ont une indifférence encore plus grande aux maux du libre-échange. A droite, c’est vrai que le capitalisme financier s’en contrefout. Mais ce n’est pas le cas des secteurs de production. N’oubliez pas que le premier théoricien du protectionnisme, l’économiste allemand Friedrich List, était un libéral. Les protectionnistes sont des adeptes du marché, à condition de définir la taille du terrain…
La régulation du marché ne serait pas qu’une histoire de gauche ?
D’abord, il faut rappeler que les socialistes ont une arrogance de bons élèves que n’ont pas les gens de droite. Ils oublient facilement que dans l’histoire des idées économiques, les basculements sont transpartisans ; au début des années 70, la gauche et la droite étaient en faveur d’une économie régulée par l’Etat. Le basculement dans l’ultralibéralisme a fini par toucher tout le monde. Si l’on en vient, comme je l’espère, à l’idée que la protection européenne est la bonne solution, au final, gauche et droite seront d’accord. Reste à savoir qui va démarrer le premier.
Vous avez eu des mots très durs pour « la petite bourgeoisie d’Etat », qui « ne comprend pas l’économie »…
L’une des forces de la France, c’est son égalitarisme, et la capacité de sa population à s’insurger. Cet esprit de contestation explique dans notre pays la suprématie de la sociologie. En revanche, la France n’a jamais été en Europe l’économie dominante, elle a toujours été, depuis le Moyen Age, en deuxième position. La pensée économique française est donc restée à la traîne. Il se trouve que notre unique Prix Nobel d’économie, Maurice Allais, un vieux monsieur, est protectionniste ! Alors on décrète que notre vieux Prix Nobel ne vaut rien en économie… Ne soyons pas naïfs, toutes les rigidités ne sont pas intellectuelles, car deux nouvelles catégories de soi-disant économistes sont apparues : des types issus de la haute fonction publique, d’autant plus adeptes du marché qu’ils ne savent pas ce que c’est, et des économistes bancaires, qui sont en fait des commerciaux dont les intérêts sont imbriqués à ceux du système.
Vous avez prédit en 2003 le déclin américain, qu’on ne voit toujours pas venir…
Je maintiens que si une économie est puissante, cela s’exprime dans l’échange international. Or, les Etats-Unis, avec 800 milliards de déficit commercial, sont déficitaires avec tous les pays du monde, y compris l’Ukraine. Les Etats-Unis, c’est le pays des mauvaises bagnoles, des trains qui vont lentement, où rien ne marche très bien, où il est difficile de faire changer un compteur à gaz en dehors des grandes villes, où la mortalité infantile est la plus forte du monde occidental. Où l’informatisation et la robotisation – c’est masqué par l’essor des ordinateurs individuels – est faible. Là-bas, le discours sur l’économie virtuelle, sur « l’immatériel », est un discours délirant. Parce que l’économie, ce n’est pas l’abolition de la matière, mais sa transformation par l’intelligence.De temps en temps, l’état réel de l’Amérique apparaît : face à un événement comme l’ouragan Katryna, l’économie virtuelle, les avocats, les financiers, pas terrible, hein…
C’est cette Amérique-là qui fascine Nicolas Sarkozy...
Ce n’est pas tant le bushisme de Sarkozy qui est scandaleux, que sa mauvaise maîtrise du temps, son manque d’à-propos, puisqu’il est allé faire allégeance à Bush juste avant que l’énormité de son échec en Irak ne soit reconnue aux Etats-Unis mêmes ; quant à Ségolène Royal, elle a manifesté une vraie rigidité de pensée en refusant pour l’Iran le nucléaire civil aussi bien que militaire. Je ne vois pas comment ces deux candidats pourraient penser le protectionnisme européen, question qui suppose intérêt pour l’économie, mais aussi maîtrise de la politique étrangère, car la première chose qu’il va falloir faire, c’est négocier avec l’Allemagne !
L’économie allemande est repartie. En quoi l’Allemagne aurait-elle besoin du protectionnisme ?
Pour les idéologues du libre-échange, l’Allemagne est le pays qui réussit le mieux. Mais de mon point de vue, c’est celui qui arrive le mieux à se torturer lui-même. Au prix d’une terrible compression salariale, l’Allemagne a abaissé ses coûts de production et gagné des parts de marché en Europe, contribuant à l’asphyxie de la France et de l’Italie.
Elle aurait maintenant tout à gagner à un marché européen prospère, où l’on protège nos frontières, augmente les salaires, gonfle la demande intérieure. Tout cela, il faut le penser, être capable de le négocier. Et je ne ressens pas dans notre binôme cette compétence diplomatique…
Le système libéral peut-il se régénérer ?
Le libre-échange intégral et la démocratie sont incompatibles, tout simplement parce que la majorité des gens ne veut pas du libre-échange. Donc, soit la démocratie gagne et on renonce au libre-échange, soit on supprime le suffrage universel parce qu’il ne donne pas les résultats souhaités par les libéraux. Le seul pays à avoir jamais inscrit dans sa Constitution le libre-échange a été les Etats américains sudistes, esclavagistes. Le Nord, industriel et démocratique, derrière Lincoln, était protectionniste. Normal, puisque le protectionnisme définit une communauté solidaire et relativement égalitaire, alors que le libre-échange suppose des ploutocrates et une plèbe. La Chine a résolu le problème : c’est un modèle totalitaire qui pratique le libre-échange. Avec la Chine, on parle d’un modèle capitaliste imparfait, alors que c’est peut-être le modèle achevé !
Si l’Europe se décidait pour le protectionnisme, comment la Chine réagirait-elle ?
Elle s’écraserait parce qu’elle a trop besoin des machines-outils allemandes. Le rétablissement d’une souveraineté économique aux frontières de l’Europe renforcerait nos capacités de négociation. Le protectionnisme, ce n’est pas l’autarcie, on définit des zones de protection, tout peut se négocier. Ce n’est pas un univers idéologique, contrairement au libre-échange qui prétend avoir une recette universelle pour tous les produits.
Autre sujet polémique, l’Iran, que vous déclarez depuis 2002 être engagé « dans un processus d’apaisement intérieur et extérieur »…
En octobre, dans Marianne, je disais : Ahmadinejad et ses horreurs sur l’Holocauste, ce n’est que la surface des choses, il faut faire le pari d’un Iran avec de vraies virtualités démocratiques, associé à sa spécificité chiite, parce que le chiisme, culture du débat, de la révolte, est une bonne matrice pour la démocratie. Or, que s’est-il passé ? Ahmadinejad s’est pris une claque électorale. Vous remarquerez d’ailleurs que l’Iran, où l’alphabétisation des femmes a fait chuter la fécondité à 2,1, où les étudiants sont en majorité des étudiantes, est un pays qui n’arrête pas de voter ! Il faut donc continuer à dire tout le mal qu’on pense d’Ahmadinejad, mais résister aux provocations, ne pas se laisser entraîner par les Etats-Unis dans une confrontation.
Pourquoi l’Europe devrait-elle se rapprocher de l’Iran ?
L’objectif des Etats-Unis n’était pas seulement de faire la guerre en Irak mais d’entraîner Français et Allemands dans cette guerre, et ils feront de même avec l’Iran. Par ailleurs, l’intérêt des Iraniens est d’importer des machines-outils européennes, celui des Européens, inquiets de la prédominance de la Russie dans leurs approvisionnements énergétiques, est d’avoir un deuxième partenaire. Ma position traduit un désir de paix mêlé d’une géopolitique raisonnable. Mais je crains que les Américains n’attendent la présidentielle française pour déclencher leur attaque sur l’Iran, une fois débarrassés de Chirac. Il faut donc absolument contraindre nos deux candidats à dire ce qu’ils feraient en cas d’attaque américaine.
Le goût de la prospection, d’où vous vient-il ?
De formation, je suis historien. C’est normal de vouloir connaître la suite de l’histoire non ? Je ne suis jamais allé en Iran, et je n’étais pas allé en Union soviétique avant d’annoncer l’effondrement du système, mais je ne suis pas davantage allé dans le XVIIIe siècle. Sur ces pays, je travaille en historien, à travers des documents, des paramètres, des statistiques. Et je prolonge des tendances… Tous les historiens ne se promènent pas dans le futur immédiat… On va souvent vers l’histoire pour échapper au présent, pour se réfugier dans le bruit et la fureur des événements d’autrefois. Mais quand on parle à des médiévistes, on s’aperçoit qu’ils ont une vision aiguë du présent. Simplement, ils n’ont pas le goût de faire ça. Il faut dire que le présent est très inquiétant. En ce moment, je travaille sur les systèmes familiaux du passé, et quand j’essaie de dater l’émergence de la famille communautaire en Chine, dans mon petit bureau, avec mes petites cartes, je me sens protégé.
Propos recueillis par Vincent Remy
Mercredi 15 Novembre 2006
Emmanuel Todd : "Mme Royal peut faire perdre la gauche"
LE MONDE | 14.11.06 | 14h12
Vous avez qualifié Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal de "candidats du vide". Leurs campagnes sur les valeurs et le retour à l'ordre ne répondent donc pas, à vos yeux, à la défiance de l'opinion qui s'exprime de façon répétée depuis 2002 ?
Je les ai qualifiés de "candidats du vide", car ils se refusent, comme d'autres candidats, à parler des problèmes très simples et brutaux qui touchent les gens, à savoir une évolution économique perçue comme catastrophique, inacceptable. Nous l'avons senti au moment du référendum sur l'Europe : ce qui agite, c'est la globalisation économique, la pression sur les salaires, l'emballement des prix de l'immobilier.
Un peu avant ce référendum, on pouvait s'imaginer que la seule partie de la population française en dissidence, c'était les milieux populaires, ouvriers (ce sont surtout des hommes), employés (surtout des femmes) et souvent ils sont mariés ensemble. Ce qui est très nouveau depuis le référendum sur l'Europe et ce qui explique le succès du "non", c'est l'entrée d'une bonne partie des classes moyennes en dissidence. Pas toutes, mais les classes "moyennes moyennes", par opposition aux classes moyennes supérieures.
Les élites n'abordent donc pas de façon efficace la question économique ?
Il y a un dogme central dans la pensée de l'élite, c'est le dogme du libre-échange. On n'a pas le droit de dire que le libre-échange a marché et qu'il ne marche plus. Le libre-échange (pas simplement la liberté de circulation du capital et des hommes, des marchandises) explique très bien la montée des inégalités. Il tend à introduire dans la société française et dans toutes les sociétés le niveau d'inégalités qui existe à l'échelle du monde. Il exerce une pression sur les salaires. Cette pression sur les salaires exerce une pression sur la demande globale. (...)
Ce que les inspecteurs des finances ne veulent pas comprendre, ce que les 20 % du haut de la société ne veulent pas comprendre parce qu'ils font plutôt partie des bénéficiaires de ce libre-échange, la majorité des gens, eux, le comprennent. Si vous parlez à un ouvrier français des délocalisations, il comprend très bien ce qui se passe. Il se rend compte que s'il n'y a pas de salaire, pas d'emploi, on entre dans une spirale de contraction, car il n'y aura pas de consommation. (...) La régulation du libre-échange serait relativement facile, mais à l'échelle continentale, à l'échelle européenne.
La plupart des pays européens ont cependant des systèmes libéraux. Quels alliés la France pourrait-elle trouver sur un tel programme ?
Nous sommes au début d'une crise. Cela va bouger très vite. Ce qui est nouveau, c'est que nous allons vers une rupture du système. Il y a l'exaspération des classes moyennes, et de vrais désarrois, de vraies paniques dans les milieux supérieurs, du fait de l'émergence de la Chine, puis de l'Inde.
Pourquoi les élites seraient-elles à ce point aveuglées ?
Marx parle de la fausse conscience. Des classes dirigeantes qui se refusent à voir parce qu'elles sont placées à un certain endroit privilégié dans la structure économique. (...) La vérité, c'est que l'on comprend beaucoup plus vite quand on souffre. (...) Mais ce qui est intéressant, c'est que le rejet remonte dans la structure sociale. Et que l'on répond aujourd'hui à la colère des classes moyennes par des candidats absurdes.
Qui est aujourd'hui un candidat absurde ?
Pour moi, Ségolène Royal peut faire perdre la gauche. Parce qu'elle a un discours très à droite. (...) Or beaucoup d'électeurs se sont décrochés des idéologies traditionnelles. Les ouvriers sont allés au Front national, dans la foulée de l'effondrement du Parti communiste, de l'encadrement catholique. Les deux grands partis qui semblaient avoir survécu étaient le parti gaulliste - sentiment national, tempérament égalitaire hérité de la Révolution française - et puis la tradition socialiste. Nicolas Sarkozy est décroché de la tradition de droite française. Il n'est pas gaulliste. (...) Si vous prenez Ségolène Royal, c'est la symétrie. Prenez les jurys populaires. Elle se libère du logiciel républicain. Elle n'est plus socialiste, et l'on se demande par moments si elle est de gauche. Cela accentue le flottement d'une partie énorme du corps électoral.
Pourtant, le démographe voit-il des raisons d'espérer ?
Nous avons des classes moyennes très étonnantes par rapport à l'Europe, par leurs activités culturelles, et même par leur fécondité. En Angleterre, par exemple, les ouvriers font les enfants et les classes moyennes n'ont pas le temps. En France, les classes moyennes ont un taux de fécondité relativement élevé. En France, ce sont vraiment les élites qui vont mal et qui sont malheureuses et complètement larguées.
---
(C'est un peu décousu, ça a l'air d'être une transcription de ça, qui est aussi un peu décousu :
http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/francparler/ )
Samedi 07 Octobre 2006
L'Iran et la présidentielle
Dimanche 24 Septembre 2006
Le Prophète parle à nouveau
Vous êtes remonté contre les hommes politiques... Pourquoi ?
Emmanuel Todd : Les politiques s'interdisent de parler du principal problème qui concerne les gens : notre système économique. Or, le libre-échange, c'est ce qui produit un tiers-monde dans les pays développés et détruit notre industrie. Les politiques ne parlent que de choses qui n'intéressent pas les gens. Cela produit un immense désintérêt.
Sont-ils les seuls fautifs ?
L'époque est au repli sur soi. Il y a une perte de sens de l'action collective dans tous les domaines. Même les syndicats se décomposent. C'est dans ce genre de monde incertain que peuvent apparaître ces « fantômes politiques » comme Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, deux candidats du vide.
Pourquoi des « fantômes » ?
Parce qu'ils n'incarnent plus rien. Les hommes politiques d'autrefois incarnaient des idéologies plus grandes qu'eux-mêmes. Maintenant, il n'y a plus rien à incarner. Et s'il n'y a plus rien à incarner, que va-t-on regarder chez les hommes politiques ? Leur visage, leur vie personnelle, leur style...
Vous pensez à Ségolène Royal...
Ségolène Royal, j'ai l'impression qu'elle a été fabriquée par le vide et qu'elle n'est pas vraiment responsable de ce qu'elle est aujourd'hui. Un grand hebdomadaire et des sondages d'opinion, à eux seuls, tentent de faire croire qu'elle existe... Ils l'ont désignée sans programme. C'est une sorte de putsch. Si c'est elle qui est désignée, on pourra dire que les sondeurs on fait une OPA sur le PS. En tout cas, le Parti socialiste donne l'image d'une décomposition accélérée. L'idée de pouvoir simplement s'inscrire sur Internet pour décrocher le droit de participer à la désignation du candidat est une forme de destruction du parti politique au sens où on l'entendait.
Vous n'aimez pas non plus les sondages...
Des sondages sur la politique réalisés un an avant l'élection, et donc avant que ne s'engage le débat électoral, ne sont à mon sens indicateurs de rien du tout. Hors période électorale, les sondés répondent à un quizz, ils sont à « Questions pour un champion » et on les teste pour savoir s'ils sont au courant...
Vous pensez que Nicolas Sarkozy lui non plus « n'incarne rien » ?
Nicolas Sarkozy est dans le système depuis longtemps. Il a vraiment gouverné, on l'a vu faire. Il y a chez lui un trait récurrent : la logique du bouc émissaire, qui est inséparable de la logique de l'impuissance. Il est dans une logique de division, pas de rassemblement. Je ne crois pas que Nicolas Sarkozy puisse séduire l'électorat français. Je crois même qu'il n'a aucune chance et qu'il perdra au second tour contre n'importe quel candidat de gauche.
Que pensez-vous de son thème, la « rupture » ?
Il n'y a plus de croyances collectives en France. Mais, plus profond, il y a des valeurs communes. Les Français sont des gens qui croient encore à la liberté et à l'égalité. Y compris dans leur vie quotidienne. On ne vit pas en Angleterre ou aux Etats-Unis, où la montée des inégalités est quelque chose qui passe assez bien parce que les gens ne croient pas tellement à l'égalité. Ici, c'est autre chose. La montée des inégalités, des privilèges, des superprofits, tout cela ne passe pas. Derrière le mot « rupture » et le slogan de Sarkozy, « la France d'après », moi j'entends en fait « Après la France »... Sarkozy, en proposant aux Français d'aller encore plus loin dans l'ultralibéralisme, leur propose de « rompre » avec des choses auxquelles ils restent très attachés : l'hôpital public, l'école, la Sécurité sociale... Il se comporte comme s'il n'avait pas conscience de la solidité de ces valeurs de base de la vie sociale. A mes yeux, Sarkozy ferait un meilleur candidat pour un public d'Américains d'il y a vingt ans.
Vous semblez donc penser qu'il n'a aucune chance d'être élu président...
Tout le monde l'a déjà oublié, mais toute sa vie politique n'est qu'une longue suite de gamelles. On n'a aucune preuve électorale de Sarkozy ! J'ajoute autre chose : la différence entre un Chirac et un Sarkozy, c'est que le premier a une sensibilité ancrée dans l'histoire de France. Il partage avec les Français les idées d'égalité, de rapport à l'Etat. Bizarrement, Sarkozy me semble comme en apesanteur par rapport à cette histoire. Chirac fait partie de ces hommes politiques qui savent, lors de ces innombrables situations de révolte, parler aux Français. Sarkozy, lui, reste dans l'affrontement. Il fait partie de ceux qui pensent qu'on peut faire sans les gens. Dans ce cas, c'est difficile de se faire élire ailleurs qu'à Neuilly.
C'est pourtant le champion de la lutte contre l'insécurité, un thème cher aux Français...
La thématique sécuritaire a déjà été testée plusieurs fois, elle ne marche pas. Chirac en 2002, avec la sécurité, a fait un score à peine moins remarquable que celui de Lionel Jospin. Aux dernières régionales, avec un Sarkozy, ministre vedette, champion de la sécurité, l'UMP a connu une débâcle. En fait, je ne crois pas que Sarkozy incarne vraiment les valeurs d'ordre et de sécurité traditionnelles de la droite. Avec lui, je trouve au contraire qu'on ne se sent pas en sécurité. Il montre une agitation incessante, un besoin de parler, de se montrer, de bouger, d'opérations coups de poing... Il véhicule l'image de l'homme politique qui est le plus proche des grands patrons et qui tape sur les plus vulnérables de la société. Or, la réalité sociologique en France, ce sont les classes moyennes qui décrochent des classes dirigeantes. Cela s'explique à mon avis par un emballement dramatique du coût du logement, qui est aujourd'hui une forme déguisée d'inflation.
Le 21 avril, avec un Le Pen au second tour, est-ce un accident ou la nouvelle norme ?
C'est toute la question. Prenez deux réalités électorales récentes. La plus proche, c'est le référendum sur l'Europe : 55 % de non. Or, avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, on a deux candidats du oui. On est déjà dans une configuration où le clivage considéré comme essentiel par les Français n'est pas respecté... Cela ne peut qu'encourager le vote Le Pen. Pour moi, le FN n'est pas un parti sérieux. Les électeurs qui votent pour lui se dispersent dans le néant. C'est un vote perdu, une forme d'abstention colérique. La deuxième réalité électorale, c'est la défaite de l'UMP aux régionales. Avec tout cela, on peut raisonnablement pronostiquer une répétition inversée de ce qui s'est passé le 21 avril 2002 : un second tour avec cette fois le candidat FN opposé à un candidat du PS.
La menace Le Pen ne transforme-t-elle pas la présidentielle en une campagne exclusivement de premier tour ?
On voit bien que Nicolas Sarkozy fait tout pour faire monter le FN. Il espère ainsi la répétition à son avantage du 21 avril 2002. Même avec seulement 19 % des voix au premier tour, cela lui permettrait d'être élu président en se retrouvant face à Le Pen au second tour. C'est une logique de putsch là aussi. Mais cette logique présente un risque pour Sarkozy : elle assure une formidable discipline de vote à gauche. Si la présidentielle est devenue exclusivement une campagne de premier tour, cela veut dire que notre système démocratique est en train de muter. On serait entré dans un système politique malade avec un Le Pen qui permettrait à d'autres d'échapper au suffrage universel.
Propos recueillis par Laurent Valdiguié, Le Parisien, 13 septembre 2006
Emmanuel Todd : Les politiques s'interdisent de parler du principal problème qui concerne les gens : notre système économique. Or, le libre-échange, c'est ce qui produit un tiers-monde dans les pays développés et détruit notre industrie. Les politiques ne parlent que de choses qui n'intéressent pas les gens. Cela produit un immense désintérêt.
Sont-ils les seuls fautifs ?
L'époque est au repli sur soi. Il y a une perte de sens de l'action collective dans tous les domaines. Même les syndicats se décomposent. C'est dans ce genre de monde incertain que peuvent apparaître ces « fantômes politiques » comme Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, deux candidats du vide.
Pourquoi des « fantômes » ?
Parce qu'ils n'incarnent plus rien. Les hommes politiques d'autrefois incarnaient des idéologies plus grandes qu'eux-mêmes. Maintenant, il n'y a plus rien à incarner. Et s'il n'y a plus rien à incarner, que va-t-on regarder chez les hommes politiques ? Leur visage, leur vie personnelle, leur style...
Vous pensez à Ségolène Royal...
Ségolène Royal, j'ai l'impression qu'elle a été fabriquée par le vide et qu'elle n'est pas vraiment responsable de ce qu'elle est aujourd'hui. Un grand hebdomadaire et des sondages d'opinion, à eux seuls, tentent de faire croire qu'elle existe... Ils l'ont désignée sans programme. C'est une sorte de putsch. Si c'est elle qui est désignée, on pourra dire que les sondeurs on fait une OPA sur le PS. En tout cas, le Parti socialiste donne l'image d'une décomposition accélérée. L'idée de pouvoir simplement s'inscrire sur Internet pour décrocher le droit de participer à la désignation du candidat est une forme de destruction du parti politique au sens où on l'entendait.
Vous n'aimez pas non plus les sondages...
Des sondages sur la politique réalisés un an avant l'élection, et donc avant que ne s'engage le débat électoral, ne sont à mon sens indicateurs de rien du tout. Hors période électorale, les sondés répondent à un quizz, ils sont à « Questions pour un champion » et on les teste pour savoir s'ils sont au courant...
Vous pensez que Nicolas Sarkozy lui non plus « n'incarne rien » ?
Nicolas Sarkozy est dans le système depuis longtemps. Il a vraiment gouverné, on l'a vu faire. Il y a chez lui un trait récurrent : la logique du bouc émissaire, qui est inséparable de la logique de l'impuissance. Il est dans une logique de division, pas de rassemblement. Je ne crois pas que Nicolas Sarkozy puisse séduire l'électorat français. Je crois même qu'il n'a aucune chance et qu'il perdra au second tour contre n'importe quel candidat de gauche.
Que pensez-vous de son thème, la « rupture » ?
Il n'y a plus de croyances collectives en France. Mais, plus profond, il y a des valeurs communes. Les Français sont des gens qui croient encore à la liberté et à l'égalité. Y compris dans leur vie quotidienne. On ne vit pas en Angleterre ou aux Etats-Unis, où la montée des inégalités est quelque chose qui passe assez bien parce que les gens ne croient pas tellement à l'égalité. Ici, c'est autre chose. La montée des inégalités, des privilèges, des superprofits, tout cela ne passe pas. Derrière le mot « rupture » et le slogan de Sarkozy, « la France d'après », moi j'entends en fait « Après la France »... Sarkozy, en proposant aux Français d'aller encore plus loin dans l'ultralibéralisme, leur propose de « rompre » avec des choses auxquelles ils restent très attachés : l'hôpital public, l'école, la Sécurité sociale... Il se comporte comme s'il n'avait pas conscience de la solidité de ces valeurs de base de la vie sociale. A mes yeux, Sarkozy ferait un meilleur candidat pour un public d'Américains d'il y a vingt ans.
Vous semblez donc penser qu'il n'a aucune chance d'être élu président...
Tout le monde l'a déjà oublié, mais toute sa vie politique n'est qu'une longue suite de gamelles. On n'a aucune preuve électorale de Sarkozy ! J'ajoute autre chose : la différence entre un Chirac et un Sarkozy, c'est que le premier a une sensibilité ancrée dans l'histoire de France. Il partage avec les Français les idées d'égalité, de rapport à l'Etat. Bizarrement, Sarkozy me semble comme en apesanteur par rapport à cette histoire. Chirac fait partie de ces hommes politiques qui savent, lors de ces innombrables situations de révolte, parler aux Français. Sarkozy, lui, reste dans l'affrontement. Il fait partie de ceux qui pensent qu'on peut faire sans les gens. Dans ce cas, c'est difficile de se faire élire ailleurs qu'à Neuilly.
C'est pourtant le champion de la lutte contre l'insécurité, un thème cher aux Français...
La thématique sécuritaire a déjà été testée plusieurs fois, elle ne marche pas. Chirac en 2002, avec la sécurité, a fait un score à peine moins remarquable que celui de Lionel Jospin. Aux dernières régionales, avec un Sarkozy, ministre vedette, champion de la sécurité, l'UMP a connu une débâcle. En fait, je ne crois pas que Sarkozy incarne vraiment les valeurs d'ordre et de sécurité traditionnelles de la droite. Avec lui, je trouve au contraire qu'on ne se sent pas en sécurité. Il montre une agitation incessante, un besoin de parler, de se montrer, de bouger, d'opérations coups de poing... Il véhicule l'image de l'homme politique qui est le plus proche des grands patrons et qui tape sur les plus vulnérables de la société. Or, la réalité sociologique en France, ce sont les classes moyennes qui décrochent des classes dirigeantes. Cela s'explique à mon avis par un emballement dramatique du coût du logement, qui est aujourd'hui une forme déguisée d'inflation.
Le 21 avril, avec un Le Pen au second tour, est-ce un accident ou la nouvelle norme ?
C'est toute la question. Prenez deux réalités électorales récentes. La plus proche, c'est le référendum sur l'Europe : 55 % de non. Or, avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, on a deux candidats du oui. On est déjà dans une configuration où le clivage considéré comme essentiel par les Français n'est pas respecté... Cela ne peut qu'encourager le vote Le Pen. Pour moi, le FN n'est pas un parti sérieux. Les électeurs qui votent pour lui se dispersent dans le néant. C'est un vote perdu, une forme d'abstention colérique. La deuxième réalité électorale, c'est la défaite de l'UMP aux régionales. Avec tout cela, on peut raisonnablement pronostiquer une répétition inversée de ce qui s'est passé le 21 avril 2002 : un second tour avec cette fois le candidat FN opposé à un candidat du PS.
La menace Le Pen ne transforme-t-elle pas la présidentielle en une campagne exclusivement de premier tour ?
On voit bien que Nicolas Sarkozy fait tout pour faire monter le FN. Il espère ainsi la répétition à son avantage du 21 avril 2002. Même avec seulement 19 % des voix au premier tour, cela lui permettrait d'être élu président en se retrouvant face à Le Pen au second tour. C'est une logique de putsch là aussi. Mais cette logique présente un risque pour Sarkozy : elle assure une formidable discipline de vote à gauche. Si la présidentielle est devenue exclusivement une campagne de premier tour, cela veut dire que notre système démocratique est en train de muter. On serait entré dans un système politique malade avec un Le Pen qui permettrait à d'autres d'échapper au suffrage universel.
Propos recueillis par Laurent Valdiguié, Le Parisien, 13 septembre 2006
Dimanche 02 Juillet 2006
Brûle ta télé (c)
Lundi 19 Juin 2006
Et paf !!
http://www.dailymotion.com/relevance/search/+S%C3%A9gol%C3%A8ne+Royal+entart%C3%A9e/video/263628
(Mais la patisserie ayant été lancée et non pas plaquée, c'est pas un vrai entartrage.)
Un bilan :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Entartage
Le recordman : BHL, 9 entartrages.
Le gagnant : JPC, procès gagné.
Le perdant : PDB, procès perdu
(Mais la patisserie ayant été lancée et non pas plaquée, c'est pas un vrai entartrage.)
Un bilan :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Entartage
Le recordman : BHL, 9 entartrages.
Le gagnant : JPC, procès gagné.
Le perdant : PDB, procès perdu
Dimanche 18 Juin 2006
Anniversaire
Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des États-Unis.
Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.
Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des États-Unis.
Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.
Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.
Vendredi 16 Juin 2006
La droite jacobine
Le libéral-militarisme
L'émergence du socialisme provoque celle d'un nouveau nationalisme, s'identifiant au besoin d'ordre des classes moyennes. Le bonapartisme et le boulangisme sont les deux formes successives prises entre 1848 et 1914 par la nouvelle idéologie nationaliste des régions de famille nucléaire égalitaire. Le désir d'ordre doit cependant ruser avec le tempérament politique libéral et égalitaire porté par la famille. L'horreur de l'autorité, l'incapacité à s'organiser et le refus des doctrines rigides ne sont pas moins typiques de la droite et des classes moyennes que de la gauche et de la classe ouvrière dans le Bassin parisien. Il n'est donc pas question pour le nouveau nationalisme de s'incarner dans une structure partisane stable. Entre 1885 et 1900, la Ligue des patriotes, qui représente assez bien avec Déroulède cette nouvelle idéologie, n'est ni plus puissante ni plus efficace que les groupes socialistes et anarchistes dont elle reproduit à droite l'indiscipline. Le déification de l'armée et du principe militaire permet cependant de contourner l'anarchisme latent de cette droite. En région de famille nucléaire égalitaire, cette institution spécialisée s'efforce d'inverser les tendances du tempérament local en prônant la hiérarchie et la discipline. Elle symbolise de plus un idéal nationaliste de prouesse guerrière. Dans le contexte d'une société inapte à la discipline, le rêve nationaliste et antisocialiste se fixe très vite sur l'armée ou plutôt l'imagerie militaire, représentation de l'ordre et de la gloire nationale.
Le bonapartisme et le boulangisme ne se débarrassent cependant pas de l'individualisme égalitaire du fond anthropologique. Ils glorifient le suffrage universel, dont la nécessité idéologique découle de l'existence d'individus égaux en droits. Ils réclament même une légitimation populaire directe du chef de l'exécutif par l'élection, le referendum ou le plébiscite. L'appel au sauveur prend ici une forme spécifique : le chef n'est pas l'incarnation humaine d'un principe, il est l'individu à l'état pur, expression ultime de l'individualisme du Bassin parisien. Comme tel, il est largement imprévisible dans ses actes, n'étant nullement tenu par les disciplines conjuguées d'une doctrine ou d'un parti. Par le tempérament, le chef suprême du libéral-militarisme n'est pas si différent du militant de base de l'anarcho-socialisme, qui pense n'avoir "ni Dieu ni maître".
Les préoccupations sociales du libéral-militarisme révèlent son origine anti-socialiste. Tous les nationalismes de droite perçoivent, comme les socialismes, les antagonismes de classe ; mais au contraire des socialismes, les nationalismes veulent réintégrer le prolétariat dans la nation plutôt qu'expulser de la nation les éléments non prolétariens. Pour les nationalismes de droite, la nation reste la cité idéale, devant remplacer le cité de Dieu ; mais il ne suffit plus, comme en 1789, de déclarer son existence, il faut construire son unité, contre la notion de classe glorifiée par les socialismes.
Situés à droite du spectre politique, bonapartisme et boulangisme conservent cependant l'essentiel des valeurs révolutionnaires. Leur nationalisme n'est en particulier pas ethnocentrique : il présuppose toujours l'existence d'un homme universel, dont le Français n'est que l'incarnation la plus parfaite. L'antisémitisme - qui trouble la société française au lendemain de la crise boulangiste des années 1887-1889, et qui mène à l'affaire Dreyfus des années 1894-1899 - vient d'ailleurs.
(...)
1930-1965, l'épanouissement du dualisme : anarcho-communisme et gaullisme
(...)
Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, le socialisme, sous la forme hybride de l'anarcho-communisme ( organisation communisme autoritaire posée sur un tempérament idéologique qui reste au fond anarchiste), finit donc par dominer globalement la gauche dans l'ensemble du bassin parisien. Cette expansion du socialisme aboutit, par effet de symétrie, à l'épanouissement du nationalisme. Il s'agit d'un libéral-militarisme tranquille, n'ayant aucunement besoin d'un coup d'Etat militaire réel pour parvenir au pouvoir. Le gaullisme se satisfait d'images de grandeur militaire et nationale. En 1962, l'UNR-UDT, seul parti alors fidèle au général de Gaulle, triomphe au coeur du Bassin parisien, dans les régions de famille libérale égalitaire. Le gaullisme définit un sauveur, le légitime au suffrage universel direct ; il rêve de grandeur nationale, il a des préoccupations sociales. Il est le boulangisme achevé et ne présente comme tel que peu d'intérêt doctrinal. Mais il réussit là où le boulangisme a échoué. Le premier général avait séduit la ville de Paris ; le deuxième répète cet exploit mais étend sa conquête au bassin parisien, base plus sûre pour contrôler l'ensemble du système national.
La raison profonde du succès gaulliste, c'est la puissance adverse du mouvement socialiste et sa nécrose autoritaire. La polarisation du système idéologique correspondant à la famille nucléaire égalitaire s'achève au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Le rêve d'une cité idéale "ouvrière" atteint entre 1946 et 1968 son apogée. Le contre-rêve d'une nation réintégrant la classe ouvrière suit très logiquement. Le gaullisme est un effet, involontaire mais inévitable, du socialisme. Le caractère nécrosé, communiste, du socialisme en question assure la prééminence du gaullisme, l'orientation à droite du Bassin parisien entre 1958 et 1981. Totalitaire, le PCF contredit la tendance libérale des régions de famille nucléaire égalitaire. Les classes moyennes inférieures choisissent donc l'identification à la nation plutôt qu'au prolétariat. Une partie de la classe ouvrière elle-même préfère la nation à la classe : dès 1958, le gaullisme prend des voix ouvrières au PCF. Pour être prolétaire, on n'en est pas moins égalitaire et libéral dans le Bassin parisien.
L'invention de l'Europe
L'émergence du socialisme provoque celle d'un nouveau nationalisme, s'identifiant au besoin d'ordre des classes moyennes. Le bonapartisme et le boulangisme sont les deux formes successives prises entre 1848 et 1914 par la nouvelle idéologie nationaliste des régions de famille nucléaire égalitaire. Le désir d'ordre doit cependant ruser avec le tempérament politique libéral et égalitaire porté par la famille. L'horreur de l'autorité, l'incapacité à s'organiser et le refus des doctrines rigides ne sont pas moins typiques de la droite et des classes moyennes que de la gauche et de la classe ouvrière dans le Bassin parisien. Il n'est donc pas question pour le nouveau nationalisme de s'incarner dans une structure partisane stable. Entre 1885 et 1900, la Ligue des patriotes, qui représente assez bien avec Déroulède cette nouvelle idéologie, n'est ni plus puissante ni plus efficace que les groupes socialistes et anarchistes dont elle reproduit à droite l'indiscipline. Le déification de l'armée et du principe militaire permet cependant de contourner l'anarchisme latent de cette droite. En région de famille nucléaire égalitaire, cette institution spécialisée s'efforce d'inverser les tendances du tempérament local en prônant la hiérarchie et la discipline. Elle symbolise de plus un idéal nationaliste de prouesse guerrière. Dans le contexte d'une société inapte à la discipline, le rêve nationaliste et antisocialiste se fixe très vite sur l'armée ou plutôt l'imagerie militaire, représentation de l'ordre et de la gloire nationale.
Le bonapartisme et le boulangisme ne se débarrassent cependant pas de l'individualisme égalitaire du fond anthropologique. Ils glorifient le suffrage universel, dont la nécessité idéologique découle de l'existence d'individus égaux en droits. Ils réclament même une légitimation populaire directe du chef de l'exécutif par l'élection, le referendum ou le plébiscite. L'appel au sauveur prend ici une forme spécifique : le chef n'est pas l'incarnation humaine d'un principe, il est l'individu à l'état pur, expression ultime de l'individualisme du Bassin parisien. Comme tel, il est largement imprévisible dans ses actes, n'étant nullement tenu par les disciplines conjuguées d'une doctrine ou d'un parti. Par le tempérament, le chef suprême du libéral-militarisme n'est pas si différent du militant de base de l'anarcho-socialisme, qui pense n'avoir "ni Dieu ni maître".
Les préoccupations sociales du libéral-militarisme révèlent son origine anti-socialiste. Tous les nationalismes de droite perçoivent, comme les socialismes, les antagonismes de classe ; mais au contraire des socialismes, les nationalismes veulent réintégrer le prolétariat dans la nation plutôt qu'expulser de la nation les éléments non prolétariens. Pour les nationalismes de droite, la nation reste la cité idéale, devant remplacer le cité de Dieu ; mais il ne suffit plus, comme en 1789, de déclarer son existence, il faut construire son unité, contre la notion de classe glorifiée par les socialismes.
Situés à droite du spectre politique, bonapartisme et boulangisme conservent cependant l'essentiel des valeurs révolutionnaires. Leur nationalisme n'est en particulier pas ethnocentrique : il présuppose toujours l'existence d'un homme universel, dont le Français n'est que l'incarnation la plus parfaite. L'antisémitisme - qui trouble la société française au lendemain de la crise boulangiste des années 1887-1889, et qui mène à l'affaire Dreyfus des années 1894-1899 - vient d'ailleurs.
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1930-1965, l'épanouissement du dualisme : anarcho-communisme et gaullisme
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Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, le socialisme, sous la forme hybride de l'anarcho-communisme ( organisation communisme autoritaire posée sur un tempérament idéologique qui reste au fond anarchiste), finit donc par dominer globalement la gauche dans l'ensemble du bassin parisien. Cette expansion du socialisme aboutit, par effet de symétrie, à l'épanouissement du nationalisme. Il s'agit d'un libéral-militarisme tranquille, n'ayant aucunement besoin d'un coup d'Etat militaire réel pour parvenir au pouvoir. Le gaullisme se satisfait d'images de grandeur militaire et nationale. En 1962, l'UNR-UDT, seul parti alors fidèle au général de Gaulle, triomphe au coeur du Bassin parisien, dans les régions de famille libérale égalitaire. Le gaullisme définit un sauveur, le légitime au suffrage universel direct ; il rêve de grandeur nationale, il a des préoccupations sociales. Il est le boulangisme achevé et ne présente comme tel que peu d'intérêt doctrinal. Mais il réussit là où le boulangisme a échoué. Le premier général avait séduit la ville de Paris ; le deuxième répète cet exploit mais étend sa conquête au bassin parisien, base plus sûre pour contrôler l'ensemble du système national.
La raison profonde du succès gaulliste, c'est la puissance adverse du mouvement socialiste et sa nécrose autoritaire. La polarisation du système idéologique correspondant à la famille nucléaire égalitaire s'achève au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Le rêve d'une cité idéale "ouvrière" atteint entre 1946 et 1968 son apogée. Le contre-rêve d'une nation réintégrant la classe ouvrière suit très logiquement. Le gaullisme est un effet, involontaire mais inévitable, du socialisme. Le caractère nécrosé, communiste, du socialisme en question assure la prééminence du gaullisme, l'orientation à droite du Bassin parisien entre 1958 et 1981. Totalitaire, le PCF contredit la tendance libérale des régions de famille nucléaire égalitaire. Les classes moyennes inférieures choisissent donc l'identification à la nation plutôt qu'au prolétariat. Une partie de la classe ouvrière elle-même préfère la nation à la classe : dès 1958, le gaullisme prend des voix ouvrières au PCF. Pour être prolétaire, on n'en est pas moins égalitaire et libéral dans le Bassin parisien.
L'invention de l'Europe
Mardi 30 Mai 2006
Bilan de la dérégulation
(LE MONDE - 29.05.06)
Les conclusions de l'étude annuelle de Nus Consulting sur le prix de l'électricité pour les entreprises dans quinze pays industrialisés, publiée lundi 29 mai, sont sans appel : la France est entrée dans le grand mouvement européen de hausse qui touche les industries ayant choisi la liberté des prix à partir de 2000.
Dans l'Hexagone, ils ont augmenté de 48 % entre avril 2005 et avril 2006, alors que les tarifs fixés par l'Etat restaient stables, creusant un écart de 66 % entre les deux. "Tous les pays européens, à l'exception de l'Allemagne, ont subi des hausses à deux chiffres", note l'enquête. Cette année, "le record est détenu par la France" sur le marché dérégulé, suivie de la Finlande (42,2 % ). Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75,6 %, l'une des plus fortes progressions des quinze pays étudiés, mais de seulement 10,57 % pour les tarifs régulés.
Désormais, c'est le Danemark qui affiche le prix du kWh (hors TVA) le plus élevé (0,1104 euro). L'Italie suit (0,1090 euro), puis le Royaume-Uni (0,0908 euro), les Pays-Bas (0,0907 euro) et la France (0,0867 euro), pourtant si fière d'un parc électronucléaire assurant 78 % de sa production. Sur le marché libre, elle se situe au niveau de la Belgique et de l'Allemagne, mais au douzième rang (0,0522 euro) quand on retient les seuls tarifs régulés.
Nus constate en France "un manque de protection" des clients en fin de contrat, qui "se voient proposer des tarifs augmentés de 40 % à 70 %". Ces hausses, pénalisantes pour les industriels consommant beaucoup d'énergie (Le Monde du 6 mai), ont poussé l'Etat à prendre des mesures correctrices et incité les entreprises à créer des consortiums d'achat pour obtenir des prix modérés.
"AUCUN BILAN SÉRIEUX"
Les syndicats réclament en vain une évaluation avant le 1er juillet 2007, date de l'ouverture du marché aux particuliers. "Aucun bilan sérieux de l'ouverture à la concurrence n'est envisagé et le lobbying pour la suppression des tarifs régulés bat son plein, dénonce SUD Energie. Les clients domestiques et les entreprises n'ayant pas les moyens d'un lobbying suffisamment efficace paieront alors le prix fort." Comme la CGT et FO, SUD dénonce une libéralisation qui, "au-delà des impacts sociaux, est une absurdité technique et économique".
Les conclusions de l'étude annuelle de Nus Consulting sur le prix de l'électricité pour les entreprises dans quinze pays industrialisés, publiée lundi 29 mai, sont sans appel : la France est entrée dans le grand mouvement européen de hausse qui touche les industries ayant choisi la liberté des prix à partir de 2000.
Dans l'Hexagone, ils ont augmenté de 48 % entre avril 2005 et avril 2006, alors que les tarifs fixés par l'Etat restaient stables, creusant un écart de 66 % entre les deux. "Tous les pays européens, à l'exception de l'Allemagne, ont subi des hausses à deux chiffres", note l'enquête. Cette année, "le record est détenu par la France" sur le marché dérégulé, suivie de la Finlande (42,2 % ). Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75,6 %, l'une des plus fortes progressions des quinze pays étudiés, mais de seulement 10,57 % pour les tarifs régulés.
Désormais, c'est le Danemark qui affiche le prix du kWh (hors TVA) le plus élevé (0,1104 euro). L'Italie suit (0,1090 euro), puis le Royaume-Uni (0,0908 euro), les Pays-Bas (0,0907 euro) et la France (0,0867 euro), pourtant si fière d'un parc électronucléaire assurant 78 % de sa production. Sur le marché libre, elle se situe au niveau de la Belgique et de l'Allemagne, mais au douzième rang (0,0522 euro) quand on retient les seuls tarifs régulés.
Nus constate en France "un manque de protection" des clients en fin de contrat, qui "se voient proposer des tarifs augmentés de 40 % à 70 %". Ces hausses, pénalisantes pour les industriels consommant beaucoup d'énergie (Le Monde du 6 mai), ont poussé l'Etat à prendre des mesures correctrices et incité les entreprises à créer des consortiums d'achat pour obtenir des prix modérés.
"AUCUN BILAN SÉRIEUX"
Les syndicats réclament en vain une évaluation avant le 1er juillet 2007, date de l'ouverture du marché aux particuliers. "Aucun bilan sérieux de l'ouverture à la concurrence n'est envisagé et le lobbying pour la suppression des tarifs régulés bat son plein, dénonce SUD Energie. Les clients domestiques et les entreprises n'ayant pas les moyens d'un lobbying suffisamment efficace paieront alors le prix fort." Comme la CGT et FO, SUD dénonce une libéralisation qui, "au-delà des impacts sociaux, est une absurdité technique et économique".