NilLe 11/10/2017 à 10:42
(tttriple-cross)
J'ai un avis partagé sur le sujet, personnellement :
- l'ajout de nouveaux mots, soit neutres soit avec les deux genres ne me dérange pas ; au contraire, ça enrichit les possibilités d'expression, et les langues vivantes ont un fonctionnement sélectif très efficace : ce qui n'est pas adopté tombe dans l'oubli en peu de temps
- la langue française a énormément évolué avant d'être théorisée et fixée par les grammairiens ; depuis cette époque, elle n'a quasi pas changé (en tout cas, pas dans ses fondements, les réformes étant essentiellement orthographiques et encore, de façon marginale) ; avant ça, on oublie que le français a été une langue avec des cas grammaticaux comme l'allemand (sauf qu'il n'y avait que deux cas principaux, sujet/complément, et qu'on avait trois types : singulier, féminin, mixte). Avoir des évolutions grammaticales qui coïncident avec des évolutions sociales paraît logique (Michel Serres en parlait hier sur Inter dans l'Heure Bleue, dans un domaine différent : la très grande majorité des évolutions de la langue française est due à des évolutions sociales, plus particulièrement à l'apparition et à la disparition de métiers et de technologies qui ont été autant de bouleversements sociaux à leur façon)
- la syntaxe pour marquer le féminin et/ou le pluriel me paraît intéressante pour tout ce qui est document administratif, judiciaire et, plus généralement, de communications destinées à être lues sans être oralisées, mais elle bouleverse un paradigme de notre écriture actuelle, qui est que ce qui est écrit est ce qui est énoncé (par exemple, lire "les auteur·trice·s" et le convertir en "les auteurs et les autrices" est un bouleversement dans la nature même du geste d'écriture et de réinterprétation). Ce n'est pas quelque chose d'inenvisageable (les mathématiciens, les logiciens, les chimistes, les physiciens sont habitués à ce genre d'écritures et le vivent très bien, en transposant un signifiant dans un signifié sans qu'il n'y ait d'ambiguïté), mais ça me semble être quelque chose à aborder dans un second temps
- contrairement à ce que sous-entendent les détracteurs de l'écriture inclusive, la notion de genre dans la langue est un pilier des constructions sociales ; par exemple en latin, un même mot qui change simplement de genre va changer radicalement de sens ou, inversement, certains mots sont de genre féminin quel que soit la personne qui est désignée (poeta, par exemple, désigne un poète, mais est de genre féminin) ; petit conseil aux détracteurs s'ils veulent avoir un discours pertinent sur le sujet : plutôt qu'aborder la chose sur le plan de la langue, qu'ils l'abordent sur le plan de ce que ça peut (ou non) impliquer pour la société, puisque c'est là que tout se joue
- sur le long terme, je ne pense pas (mais je peux me tromper) que l'écriture inclusive dure telle que ; soit elle disparaîtra, soit elle se diluera pour donner autre chose... et je trouve ça bien qu'on injecte dans une langue de quoi la redynamiser de l'intérieur (sinon, un des risques est de se faire manger par une anglicisation et une perte pure et simple du genre pour ne garder qu'un cas neutre)